Le texte suivant est la principale dissertation que Madame Blavatsky écrivit sur
l’alchimie.
Le langage de l’alchimie fut de tout
temps symbolique, comme celui des vieilles religions.
Nous avons démontré dans La Doctrine Secrète que toute chose en
ce monde a trois attributs ou la triple synthèse des sept principes. Et pour
être plus clair, nous affirmons que tout ce qui est ici en bas dans le monde
physique (a de même que l’homme) a aussi trois principes et quatre aspects.
Comme l’homme qui est un composé d’un
corps, d’une âme rationnelle et d’un esprit immortel, chaque forme dans la
nature a aussi cette triple composition :
- son extérieur objectif,
- son âme vitale, et
- son étincelle divine et purement
spirituelle ou subjective.
La première affirmation ne peut être
niée, la seconde affirmation ne pourrait guère l’être non plus si on est logique,
car en admettant l’influence des métaux, des certains bois, des minéraux, des poudres
et des drogues, la science officielle le reconnaît tacitement. Et quant à la
troisième affirmation, c’est-à-dire la présence de la quintessence absolue dans
chaque atome, le matérialisme qui n’a que faire de l’Anima Mundi, la nie absolument.
Mais le matérialisme étant une preuve
indubitable de cécité morale et spirituelle, laissons donc ces aveugles
conduire les aveugles et ne nous en occupons pas.
L’origine de l’alchimie
Ainsi que toute chose, chaque science a
ses trois principes fondamentaux, et peut être mise en pratique sur tous les
trois, ou bien sur un seul. Et avant que l’Alchimie existât comme science,
c’est sa quintessence qui agissait seule (comme elle le fait encore d’ailleurs)
dans les corrélations de la nature et sur tous ses plans.
Lorsque parurent sur la terre des
hommes doués d’intelligence supérieure, ils la laissèrent agir, et c’est d’elle
qu’ils reçurent leurs premières leçons. Ils n’avaient qu’à l’imiter pour produire
les mêmes effets à volonté. Cependant, ils eurent à développer, dans leur
constitution humaine, un pouvoir nommé le Kriyasakti, en langage occulte.
Cette faculté créatrice dans ses
effets, n’est en vérité telle que parce qu’elle sert d’agent actif à cet attribut
sur un plan objectif, car de même que le paratonnerre conduit le fluide
électrique, de même la faculté de Kriyasakti ne fait que conduire et donner une
direction à la quintessence créatrice. Conduite au hasard, elle tue, mais dirigée
par l’intellect humain, elle crée selon un plan prémédité.
Ainsi naquirent l’Alchimie, la Magie
magnétique et bien d’autres branches sur l’arbre des sciences occultes.
Et lorsqu’apparurent, à leur tour, les
nations qui dans leur égoïsme et leur vanité féroces, se plurent à se
considérer comme infiniment supérieures à toutes les autres passées et
présentes ; quand le développement du Kriyasakti devint de plus en plus
difficile, alors cette faculté divine disparut presque de la terre.
Ces nations peu à peu oublièrent la science
de leurs premiers ancêtres. Et elles allèrent même plus loin : elles
rejetèrent la tradition même de ces aïeux antédiluviens, niant avec mépris la
présence de l’esprit et de l’âme dans cette science (la plus vieille en ce
monde terrestre). Et des trois grands attributs de la nature, elles
n’acceptèrent plus que la matière ou plutôt son aspect illusoire, car de la
vraie matière ou SUBSTANCE, les matérialistes eux-mêmes confessent n’en pas
connaître le premier mot; et certes ils ne l’ont jamais aperçue, pas même de
loin.
Et ainsi naquit la chimie moderne.
La création alchimique de l’univers
Tout change dans l’effet de l’évolution
cyclique. Le cercle parfait devient unité, triangle, quaternaire et quinaire.
Le principe créateur (Brahma), issu de la racine sans racines de l’existence
absolue (Parabrahma), qui n’a ni commencement ni fin, et dont le symbole est le
serpent, ou perpetuum mobile, avalant
sa queue afin d’arriver à sa tête, est devenu l’Azoth des Alchimistes du moyen
âge.
Le cercle devient le triangle, qui en
émane, comme Minerve de la tête de Jupiter. Le cercle représente l’hypothèse de
l’absolu. La ligne (ou la jambe droite) représente la synthèse métaphysique, et
la ligne gauche représente la synthèse physique. Et lorsque mère nature aura
formé de son corps qui représente la ligne horizontale et qui réunit les deux
lignes, ce sera le moment du réveil de l’activité cosmique.
En attendant, Pourousha (l’Esprit) est
séparé de Prakriti — qui est la nature matérielle qui n’est pas encore évoluée.
Il a des jambes à l’état potentiel, et ne peut encore se mouvoir, et point de
bras pour travailler à la forme objective des choses sublunaires. Dépourvu de
membres, Pourousha ne bâtira que lorsqu’il sera monté sur le cou de Prakriti,
l’aveugle. (1)
Alors le triangle deviendra le pentagone,
l’étoile microcosmique. Mais d’ici là, il faut que les deux passent à l’état de
quaternaire et de la croix qui engendre.
C’est la croix des mages terrestres,
qui font parade de leur symbole défloré : la croix divisée en quatre
pièces, et qui peut se lire à volonté «Taro», «Tora», «Ator» et «Rota». La
substance vierge, ou terre adamique, l’Esprit Saint des vieux Alchimistes
Rose-Croix, est devenue avec les Kabalistes —tous valets de la Science moderne— le
Na2CO3, la Soude, et le C2H6O,
l'Alcohol !
Le mépris actuel pour l’alchimie
Ah! Comme tu es tombée des cieux,
étoile du matin, fille de l’aube du jour. Pauvre Alchimie ! Tout lasse, tout passe, tout casse, dans notre
vieille planète trois fois détraquée, et cependant ce qui fut est encore et
sera toujours jusqu’à la fin des siècles. Les mots changent, et vite, le sens
en est défiguré. Mais les idées éternelles restent toujours et ne passeront
jamais.
Sous la «peau d’âne» dont la princesse
nature eut à s’affubler, pour tromper les sots, comme dans le conte de
Perrault, — par contre le disciple des philosophes de l’antiquité reconnaîtra
toujours la vérité et adorera découvrir l’alchimie.
La peau d’âne, il faut le croire, est
plus conforme que la princesse nature toute nue au goût du philosophisme
moderne et de l’alchimiste matérialiste, qui sacrifient l’âme vivante pour la
forme morte. Aussi cette peau ne tombe-t-elle que devant le prince charmant qui
reconnaît l’alliance du mariage dans la bague envoyée.
Pour tous ces courtisans qui s’agitent
et tournent autour de Dame Nature tout en dépeçant son enveloppe matérielle, — elle
n’a que son épiderme à leur offrir. Et c’est pour cela qu'ils se consolent en
donnant des noms nouveaux à des choses vieilles comme le monde, tout en
déclarant qu’ils ont fait là des découvertes nouvelles.
La nécromancie de Moïse est devenue le spiritisme
moderne; et la science des vieux Initiés du Temple, este devenu le magnétisme
des Gymnosophistes de l’Inde, le mesmérisme bienfaisant et curatif d’Esculape,
«le Sauveur», ne sont acceptés qu’à la condition de l’appeler hypnotisme,
c’est-à-dire la magie noire sous son vrai nom.
Des faux nez partout !
Mais réjouissons-nous, car plus ils
sont faux et longs et plutôt ils sont sûr de se décoller et de tomber
d’eux-mêmes.
Les matérialistes modernes voudraient
nous faire croire que l’alchimie, ou plutôt la transmutation des métaux de peu
valeur en or ou en argent, n’a été de tout temps que du charlatanisme pur et
simple. D’après eux, ce n’est pas une science, mais une superstition. Et dès
lors, tous ceux qui y croient ou prétendent y croire sont considérés des dupes
ou des imposteurs. Nos Encyclopédies sont remplies d’épithètes malsonnantes à
l’adresse des Alchimistes et des Occultistes.
C’est fort bien, Messieurs les
Académiciens. Mais donnez nous alors des raisons qui démontrent péremptoirement
l’impossibilité absolue de la transmutation. Dites-nous comment il se fait
qu’on trouve une base métallique, même dans les Alkalis. Nous connaissons des
physiciens fort savants, ma foi, qui prétendent que l’idée de réduire les
éléments à leur forme première et même à leur essence primordiale et une (voyez
à M. Crookes et ses méta-éléments) n’est pas aussi bête qu’elle en a l’air.
Ces éléments, Messieurs, une fois que
vous vous permettez l’hypothèse qu’ils ont existé tout d’abord dans la masse
ignée dont la croûte terrestre a été formée, selon votre dire, peuvent bien
être dissous de nouveau et arriver, par une série de transformations, à
redevenir ce qu’ils ont été. Le tout est de savoir trouver un dissolvant assez
fort pour agir et opérer en quelques jours ou en quelques années même, ce que
la nature opère dans la durée des âges.
La chimie, et M. Crookes surtout, nous
ont suffisamment prouvé qu'il existait une parenté entre les métaux, assez
marquée pour indiquer non seulement la même provenance, mais une Genèse
identique.
Ensuite, Messieurs les Savants qui
faites fi de la science et qui riez si bien de l’alchimie et des alchimistes,
comment se fait-il qu’un de vos premiers chimistes, l’auteur de La Synthèse Chimique, M. Berthelot, tout
nourri de leurs travaux, ne peut s’empêcher de reconnaître aux alchimistes une
connaissance des plus profondes de la matière ?
Comment se fait-il encore que M.
Chevreul, ce savant vénéré, dont la science aussi bien que le grand âge où il a
pu arriver, doué jusqu’à son dernier jour de toutes ses facultés (2) —ce qui a
émerveillé notre siècle avec toute sa suffisance, si peu facile à émouvoir
pourtant— comment se fait-il, dis-je, que celui qui fit tant de découvertes si
utiles à l’industrie, ait possédé tant d’ouvrages sur l’alchimie ?
La clef du secret de son grand âge ne
se trouverait-elle pas dans ces masses de livres, qui selon vous, ne sont qu’un
amas de superstitions aussi insensées que ridicules ?
Le fait que ce même grand savant, le
doyen de la chimie moderne, prit le soin de léguer, après sa mort, les nombreux
volumes traitant de cette «fausse science» à la Bibliothèque du Muséum, est
toute une révélation.
Et nous n’avons pas entendu dire, de
plus, que les luminaires de la science, attachés à ce sanctuaire, aient jeté au
panier ces livres sur l'alchimie, comme un fatras inutile rempli soi disant, de
rêveries fantastiques, engendrées par des cerveaux malades et détraqués.
Les difficultés pour comprendre
l’alchimie
Vos savants scientifiques, d'ailleurs,
oublient des choses :
D’abord que n’ayant jamais trouvé la
clef du jargon des livres hermétiques, ils n’ont guère le droit de décider si
ce «jargon» prêche le faux ou le vrai.
Ensuite, que la Sagesse n’est
certainement pas née avec eux, et ne mourra pas avec les sages modernes.
Donc chaque science, disons-nous, a ses
trois aspects. Deux, dans tous les cas: l’objectif et le subjectif. Et sous la
première division, nous pourrons classer les transmutations alchimiques, avec
ou sans la poudre de projection; et sous la seconde, les spéculations de la
nature mentale.
Sous le troisième aspect est caché un
sens de la plus haute spiritualité. Or, comme les symboles des deux premières
sont identiques de forme, ayant en plus, ainsi que j’ai cherché à le démontrer
dans La Doctrine Secrète, sept interprétations,
selon que l’on veut en connaître le sens appliqué à l’un des domaines de la
nature physique, psychique, ou exclusivement spirituelle. Alors on comprendra
facilement qu’il n’est donné qu’aux grands initiés d’interpréter, correctement,
le jargon des philosophes hermétiques.
Et encore ! Car comme il existe beaucoup et plus de faux
traités alchimiques en Europe que de vrais, Hermès lui-même y perdrait son
latin !
Qui ne sait, par exemple, qu’une
certaine série de formules peuvent trouver leur application concrète d’une
valeur absolue dans l’alchimie technique, tout en différant entièrement de sens
lorsque ce même symbole est employé pour rendre une idée appartenant au domaine
psychologique ?
Comme le dit fort bien notre feu frère
Kenneth MacKenzie, en parlant des sciences hermétiques:
« Pour l’alchimiste praticien,
dont l’objet était la production d’or au moyen des lois spéciales de son art,
l’évolution d’une philosophie mystique était d’importance secondaire, et cette
discipline pouvant être poursuivi sans aucune relation directe avec un système
quelconque de théosophie.
Tandis que le sage qui s’était élevé à
un plan supérieur de contemplation métaphysique, rejetait cette partie
matérielle de ces études, la trouvant au-dessous de ses véritables aspirations. » (3)
Il devient ainsi évident que les
symboles pris pour guides, lorsqu’il s’agissait de la transmutation des métaux,
ont bien peu à faire avec les méthodes que nous appelons maintenant chimiques.
Une question d’ailleurs:
Qui de nos plus grands savants oserait
traiter d’imposteurs des hommes tels que les Paracelse, les Van Helmont, les
Roger, les Bacon, les Boerhaave et tant d’autres alchimistes illustres ?
Or, tandis que Messieurs les
Académiciens font fi de la Cabale comme de l’Alchimie (tout en puisant dans
cette dernière leurs inspirations et leurs meilleures découvertes), les
cabalistes et occultistes Européens, en général, commencent à persécuter sous
main les sciences secrètes de l’Orient.
En effet, la Sagesse Orientale n’existe
pas pour nos Sages de l’Occident; elle est morte avec les trois mages.
Cependant, l’alchimie qui si l’on cherche bien, se trouvera à la base de toute
science occulte.
L’origine de l’alchimie en Occident
L’alchimie, nous affirmons, leur vient
aux Occidentaux de l’extrême Orient. Et il y en a qui prétendent qu’elle n’est
que l’évolution posthume de la magie des Chaldéens. Mais nous tâcherons de
prouver que cette dernière ne fut que l’héritière de l’alchimie antédiluvienne,
d’abord ; puis de l’alchimie égyptienne, ensuite.
Cherchez son berceau dans l’antiquité
la plus reculée, nous dit Olaus Borrichius, qui en savait long sur ce sujet.
A quelle époque remonte l’origine de
l’alchimie en Occident ?
Aucun écrivain moderne ne peut nous le
dire au juste. Quelques-uns donnent à son premier adepte le nom d’Adam;
d’autres l’attribuent à l’indiscrétion «des fils de Dieu, lesquels, voyant que
les filles des hommes étaient belles, en prirent pour leurs femmes.» (Genèse
vi, 2.)
Moïse et Salomon sont des adeptes
tardifs dans cette science, car ils furent précédés par Abraham, qui fut à son
tour précédé dans la science des sciences par Hermès.
Avicenna ne nous dit-il pas que la
«Table Smaragdine» (le traité le plus vieux qui existe sur l’Alchimie) fut trouvé
sur le corps d’Hermès enseveli depuis des siècles, à Hébron, par Sarah, la
femme d’Abraham?
Mais «Hermès» n’a jamais été le nom
d’un homme ; c’est un nom générique, comme celui de Néo-platonicien, au
temps jadis, ou de «Théosophe» aujourd’hui. Que sait-on, en effet, sur Hermès
Trismégiste «trois fois le plus grand»?
Moins que sur Abraham, sa femme Sarah
et sa concubine Agar, que saint Paul déclare être une allégorie. (4)
Hermès était déjà identifié avec le
Thoth égyptien, du temps de Platon. Mais le mot thoth ne veut pas seulement dire «Intelligence», il veut dire aussi
«assemblé» et école. Thoth Hermès, en effet, n’est que la personnification de
la voix (ou enseignement sacré) de la caste sacerdotale d’Égypte, c’est-à-dire
de la voix des Grands Hiérophantes.
Et, dirons-nous, s’il en est ainsi, à
quelle époque préhistorique a commencé la hiérarchies des prêtres initiés dans
le pays de Chemi ?
Même résolue, cette question ne nous
mènerait pas encore au bout de nos problèmes. Car la vieille Chine, non moins
que la vieille Égypte, se prétend la patrie de l’Alkahest et de l’alchimie
physique et transcendantale ; et la Chine pourrait bien avoir raison.
Un missionnaire, vieux résident de
Pékin, William A. P. Martin, la déclare «le berceau de l’Alchimie». Bien que berceau
n’est peut-être pas tout à fait le mot, mais il est certain que l’Empire
Céleste aurait le droit de se mettre sur les rangs parmi les plus vieilles
écoles des sciences occultes. En tout cas, c’est de la Chine que l’Alchimie a
pénétré en Europe, comme nous allons le prouver.
En attendant, le lecteur a le choix, car un autre pieu missionnaire, Hood, nous assure formellement que c’est au jardin «planté en Héden du côté de l’Orient», que l’Alchimie est née. Et à l’en croire, elle est l’invention de Satan, qui tenta Ève sous la forme du Serpent ; mais il oublia de prendre patente, et le brave homme nous le prouve par le nom même.
Le mot hébreu pour serpent est Nahash (au
pluriel Nahashim) et c’est de la dernière syllabe, shim, comme l’on voit, que les mots «chimie» et alchimie ont été
dérivés —N’est-ce pas clair comme le jour et établi d’après les règles les plus
sévères de la philologie moderne?
Passons à nos preuves cependant.
L’alchimie chez les Grecs
Les premières autorités sur les sciences
archaïques —William Godwin entre autres— nous démontrent, preuves à l’appui, que
quoique l’Alchimie ait été fort cultivée presque par tous les peuples de
l’antiquité, longtemps avant notre ère, les Grecs n’ont commencé à l’étudier
qu’après l’ère chrétienne, et qu’elle ne tomba dans le domaine public que fort
tard.
Il est bien entendu ici qu’il ne s’agit
que des Grecs laïcs, les non initiés. Car les adeptes des temples Helléniques
de la Magna Graecia l’ont connue depuis les jours des Argonautes. L’origine de
l’Alchimie, en Grèce, date donc de cette époque, comme le récit allégorique de
la «Toison d’Or» nous en fournit fort bien la démonstration.
En effet, on n’a qu’à lire ce que dit
Suidas, dans son Lexicon, à propos de l’expédition de Jason, trop connue pour
être racontée ici :
Deras, la toison d’or, que Jason et les
Argonautes après un voyage sur la mer Noire en Colchide, enlevèrent ensemble
avec Médée la fille d’Aeétés, roi d’Aea. Seulement ce qu’ils enlevèrent n’était
point ce que les poètes prétendent, mais bien un traité écrit sur une peau qui
apprenait comment l’or pouvait être fabriqué par des moyens chimiques. Et les
contemporains appelèrent cette peau de bélier «la toison d’or», probablement à
cause de la grande valeur des instructions qu’elle contenait.
Ceci est un peu plus clair et bien plus
probable que les divagations érudites de nos mythologues modernes,(5) car
rappelons-nous que la Colchide des Grecs est l’Imérétie moderne sur la mer
Noire; que le Rion, la grande rivière qui traverse ce pays, est le Pharsis des
anciens, lequel charrie des parcelles d’or encore aujourd’hui, et que les
traditions des peuples indigènes qui habitent les côtes de la Mer Noire —tels
que les Mingréliens, les Abhaziens et les Imérétiens— sont toutes pleines de
cette vieille légende de la toison d’or. Leurs ancêtres, disent-ils, on été
tous des «faiseurs d’or», c’est-à-dire ayant possédé le secret de la
transmutation qui s’appelle aujourd’hui l’Alchimie.
Toujours est-il que, sauf leurs
initiés, les Grecs sont restés ignorants des sciences hermétiques jusqu’aux
jours des Néo-platoniciens (fin du IVème siècle et Vème siècle), et qu’ils ne
savaient rien de la vraie Alchimie des anciens Égyptiens, dont les secrets ne
couraient certainement pas les rues. En effet, dans le IIIème siècle de l’ère
chrétienne, l’empereur Dioclétien publiait son fameux édit, ordonnant la
recherche la plus minutieuse en Égypte de tous les livres traitant de la
fabrication de l’or, et il en était fait un auto da fé public.
Après cela, il ne resta plus un seul
ouvrage d’Alchimie sur la surface de la terre des Pharaons, nous dit W. Godwin,
et pendant deux siècles on n’en entendit plus parler. Il aurait pu ajouter
qu’il restait suffisamment de pareils ouvrages dans l’intérieur de la terre,
sous la forme de papyrus ensevelis avec les momies dix fois millénaires. Le
tout, c’est de savoir reconnaître un traité sur l’Alchimie sous la forme d’un
conte de fée, semblable à celui de la toison d’or, ou d’un «roman» du temps des
premiers Pharaons. Mais ce n’est pas la sagesse secrète enfouie sous
l’allégorie des papyrus qui introduisit l’Alchimie, ni les sciences
hermétiques, en Europe.
Bref histoire de l’alchimie
L’histoire nous apprend que l’Alchimie
était cultivée en Chine, plus de seize siècles avant notre ère, et que jamais
elle n’avait été plus florissante qu’à l’époque des premiers siècles du
Christianisme. Or, c’est vers la fin du IVème siècle, et lorsque l’Orient
ouvrait ses portes au commerce avec les races latines, que l’Alchimie pénétra,
encore une fois, en Europe. Byzance et Alexandrie, les deux principaux centres
de ce commerce, furent subitement inondés de traités sur la transmutation,
alors que l’on savait que l’Égypte n’en possédait plus un seul.
D’où vinrent donc ces traités pleins de
recettes pour faire de l’or et prolonger la vie humaine ?
Ce n’est certes pas des sanctuaires
d’Égypte, puisque ces traités égyptiens n’existaient plus.—Nous affirmons que
la plupart n’étaient que des interprétations plus ou moins correctes des
histoires allégoriques des Dragons verts, bleus et jaunes, et des tigres roses,
symboles alchimiques des Chinois.
Tous les traités que l’on trouve
maintenant dans les bibliothèques publiques et les Musées d’Europe ne sont que
les hypothèses risqués de certains mystiques de tous les âges, restés à
mi-chemin de la grande Initiation. Or il n’y a qu’à comparer quelques-uns des
traités dits «hermétiques» avec ceux qui ont été apportés de la Chine
dernièrement, pour reconnaître que Thoth-Hermès, ou plutôt la science de ce
nom, est innocente de tout cela. Et il en résulte que tout ce que l’on sut sur
l’Alchimie, au moyen âge et de là au XIXème siècle, a été importé en Europe de
la Chine et transformé ensuite en écrits hermétiques.
La plupart de ces écrits ont été
fabriqués par les Grecs et les Arabes, dans les VIIIème et IXème siècles,
refabriqués au moyen âge, et restent incompris au XIXème siècle.
Les Sarrazins, dont la plus fameuse
école d’Alchimie se trouvait à Bagdad, tout en apportant avec eux des
traditions plus anciennes, en avait perdu le secret eux-mêmes. Le grand Geber
mérite plutôt le titre de Père de la Chimie moderne que celui de l’Alchimie
hermétique, quoique ce soit à lui qu’on attribue l’importation de la Science
Alchimique en Europe.
La clef des secrets de Thoth-Hermès gît
bien ensevelie dans les cryptes initiatiques du vieil Orient seul, depuis
l’acte de vandalisme commis par Dioclétien.
Comparons donc le système chinois avec
celui que l’on nomme les Sciences Hermétiques.
Comparaison entre l’alchimie chinoise
et l’alchimie européenne
1. Le double but poursuivi dans les
deux écoles est identique: la création de l’or, le rajeunissement et le
prolongement de la vie humaine au moyen du menstruum
universale ou lapis philosophorum.
Le troisième object, ou le vrai sens de
la «transmutation», ayant été complètement négligé par les adeptes chrétiens,
satisfaits qu’ils étaient de leur croyance religieuse dans l’immortalité de
l’âme, n’a jamais été bien compris par les adhérents des vieux alchimistes.
Aujourd’hui, moitié par négligence,
moitié par désuétude, il est complètement rayé du catalogue du summum bonum poursuivi par les
Alchimistes des pays chrétiens. Ce n’est cependant que ce dernier object qui
intéresse les vrais alchimistes orientaux. Tous les Adeptes Initiés, méprisant
l’or et ayant une profonde indifférence pour la vie, font peu de cas du double
but de l’alchimie.
2. Ces écoles reconnaissent toutes deux
l’existence de deux élixirs, le grand et le petit. L’usage de ce dernier sur le
plan physique s’appliquait à la transmutation des métaux et à la restitution de
la jeunesse. Le grand «Élixir», qui n’était élixir que symboliquement,
conférait le plus grand trésor de tous: l’immortalité consciente de l’Esprit,
le Nirvâna à travers les cycles qui est le précurseur de PARANIRVÂNA,
l’identification absolue avec l’Essence UNE.
3. Les principes à la base des deux
systèmes sont aussi identiques, à savoir: la nature composite des métaux et
leur végétation émanant d’un même germe séminal. La lettre tsing, dans les caractères chinois, qui indique «germe» et t’ai
«matrice», que l’on retrouve constamment dans les ouvrages chinois sur
l’alchimie,(6) sont les ancêtres des mêmes mots que l’on rencontre, à chaque pas,
dans les traités sur l’alchimie des Hermétistes.
4. Le mercure et le plomb, le mercure
et le soufre, sont employés en Orient comme dans l’Occident, et, ajoutés à tant
d’autres ingrédients en commun, nous trouvons que les deux écoles de
l’alchimie, les acceptaient sous un triple sens. — C’est ce troisième sens qui
échappe aux alchimistes européens.
5. Les alchimistes de ces deux pays
acceptent également la doctrine du cycle des transformations, pendant lequel
les métaux précieux retournent à leur élément basique.
6. L’alchimie des deux Écoles est intimement
liée à l’astrologie et à la magie.
7. Finalement toutes les deux font
usage d’une phraséologie extravagante, ainsi que le remarque l’auteur des
Études sur l’Alchimie en Chine,(7) lequel trouve que le langage des alchimistes
européens, qui diffère si totalement de celui de toutes les autres sciences
Occidentales, mais imite parfaitement, dans son jargon métaphorique, celui des
peuples de l’extrême Orient, est une excellente preuve que l’alchimie en Europe
a eu sa provenance de l’extrême Orient.
La véritable alchimie
Et quand nous affirmons que l’alchimie
est intimement liée à la magie et à l’astrologie, qu’on ne se récrie pas. Le
mot magie est un vieux terme persan qui signifie le savoir embrassant toutes
les sciences physiques ou métaphysiques qui furent cultivées jadis. Les classes
savantes sacerdotales des Chaldéens enseignaient la magie, d’où naquirent le
magisme et le gnosticisme. N’appelle-t-on pas Abraham un «Chaldéen»?
Or, c’est Josèphe, un pieux juif, qui,
parlant du patriarche, dit qu’il enseignait la mathématique ou la science ésotérique
en Égypte, la science des astres y inclus. Un professeur du magisme était
nécessairement astrologue.
Mais on aurait grand tort de confondre
l’alchimie du moyen âge avec l’alchimie antédiluvienne. Telle qu’elle est
connue maintenant elle a trois agents principaux:
- la pierre philosophale, servant à la
transmutation des métaux;
- l’Alkahest, ou le dissolvant universel;
- et l’élixir vitae, dont la propriété
était de prolonger la vie humaine indéfiniment.
Mais, ni les vrais philosophes, ni les
Initiés ne tenaient compte des deux derniers. Les trois agents alchimiques ne
sont devenus, à l’instar de la Trinité, une et indivisible trois agents
distincts que lorsque la science tomba dans le domaine de l’égoïsme humain. Tandis
que la classe sacerdotale, avide et ambitieuse, anthropomorphisait l’Unité
spirituelle et absolue, en la divisant en trois personnes, la classe des faux
mystiques séparait la Force divine du Kriyasakti universel et en faisait trois
agents.
Dans sa Magie naturelle, Giambattista
della Porta le dit fort clairement :
« Je ne promets ni montagnes d’or,
ni la pierre philosophale . . . ni encore cette liqueur d’or qui rend celui qui
en boit immortel . . . Tout cela n’est que rêverie, car le monde étant muable
et sujet aux changements, tout ce qu’il produit doit être détruit. »
Et Geber, le grand alchimiste arabe,
est encore plus explicite. Il semple avoir écrit les remarques que nous
traduisons, avec un œil prophétique pour l'avenir :
« Si nous vous avons caché quelque
chose, ô fils de la science, ne vous en étonnez pas; car nous ne l’avons pas
caché à vous; nous avons seulement usé, pour en parler, d’un langage destiné à
voiler la vérité aux méchants, afin que les hommes injustes et vils ne la
comprennent pas. Mais vous, fils de la Vérité, cherchez et vous trouverez ce
don, le plus précieux de ceux qui vous sont réservés. Vous, fils de la folie,
de l’impiété et des œuvres profanes, abstenez-vous de chercher à pénétrer les
secrets de cette science; car elle vous détruirait en vous précipitant couverts
de mépris, dans la plus profonde misère. » (8)
Voyons encore ce que quelques autres
auteurs nous ont révélé à ce sujet. Étant arrivés à croire (ce qui est une
erreur) que l’alchimie n’était, après tout, qu’une philosophie toute
métaphysique au lieu d’une science physique, ils déclarèrent que la
transmutation extraordinaire des vils métaux en or n’était que l’expression
figurée de la transformation de l’homme, le débarrassant de ses maux
héréditaires et de ses infirmités pour atteindre à un état régénéré, qui faisait
de lui une nature divine.
En effet, c’est la synthèse de
l’alchimie transcendantale, et son but principal; mais ce but ne représente pas
encore tous les objects de cette science. — Aristote, en disant à Alexandre que
«la pierre philosophale n’est pas une pierre du tout; qu’elle est dans chaque
homme, partout, en toute saison, et s’appelle le but final de tous les
philosophes», — Aristote se trompait dans sa première proposition, et avait
raison quant à la seconde.
Dans le domaine physique, le secret de
l’Alkahest produit un ingrédient qu’on nomme la pierre philosophale; mais, pour
ceux qui ne tiennent pas à l’or qui périt, l’alkahest, comme nous le dit le
professeur Wilder (9) « n’est que l’al-geist, l’esprit divin, qui dissout la grosse
matière, afin que les éléments non sanctifiés puissent être détruits . . .»
L’élixir vitae ne serait donc que l’eau
de la vie, qui comme l’exprime Godwin :
« Est une médecine universelle, ayant
la propriété de renouveler la jeunesse de l’homme et de le faire vivre pour
toujours. »
Le docteur Hermann Kopp, en Allemagne,
publia une Geschichte der Chemie il y
a une quarantaine d’années. Parlant de l’alchimie, envisagée dans son caractère
spécial de précurseur de la chimie moderne, le docteur allemand emploie une
expression très significative et que le Pythagoricien et le Platoniste
comprendraient immédiatement :
« Si, dit-il, sous le terme monde, le
microcosme que l’homme représente est sous-entendu, alors l’interprétation des
écrits des alchimistes devient aisée. »
Et Irénéus Philalethes déclare que :
« . . . la pierre philosophale est
la représentante du grand Univers (ou macrocosme) et possède toutes les vertus
du grand système, comprises et collectionnées dans le petit système. Ce dernier
a une vertu magnétique qui attire sa pareille qui gît dans l’univers. C’est la
vertu céleste répandue universellement dans toute la création, mais épitomisée
dans son petit abrégé (l’homme). »
Écoutez ce que dit Alipili dans un de
ses ouvrages traduits :
« Celui qui a la connaissance du
microcosme ne peut rester longtemps ignorant de celle du macrocosme. C’est
pourquoi les Égyptiens, les zélés investigateurs de la nature, disaient si
souvent: “Homme CONNAIS-TOI”. Mais leurs disciples bornés, les
Grecs, prirent cet adage en un sens allégorique, et dans leur ignorance
l’inscrivirent dans leurs temples. Mais, je te le déclare, qui que tu sois, qui
désir plonger dans les profondeurs de la nature, si, ce que tu cherches, tu ne
le trouves pas en toi-même, tu ne le trouveras jamais au dehors.
Celui qui ambitionne la première place
dans les rangs des étudiants de la nature ne trouvera jamais un champ d’étude
plus vaste ou meilleur que lui-même. Or, suivant en ceci l’exemple des Égyptiens,
et d’accord avec la vérité qui m’a été démontrée par l’expérience, c’est à
haute voix et du plus profond de mon âme que je répète les paroles mêmes des Égyptiens:
“Oh! homme, connais-toi toi-même; car le trésor des trésors est enseveli en
toi! » (10)
Irénéus Philalethes Cosmopolita,
alchimiste anglais et philosophe hermétique, écrivait, en 1669, faisant
allusion à la persécution dont la philosophie était l’object :
« Beaucoup de ceux qui sont
étrangers à l’art, croient que pour obtenir la jouissance, on doit faire telle
ou telle chose; ainsi que tant d’autres, nous l’avons cru aussi; mais étant
devenus, à cause du grand péril que nous courons, plus prudents et moins
ambitieux des trois biens [offerts par l’Alchimie], nous avons choisi le seul
infaillible et le plus secret. . . » (11)
Et ils étaient bien avisés, les
alchimistes. Car, à une époque où, pour une légère différence d’opinion en
matière religieuse, hommes et femmes étaient traités d’infidèles, mis hors la
loi et proscrits; où la science était stigmatisée et appelée sorcellerie, il
était tout naturel, nous dit le professeur A. Wilder,
« . . . que des hommes qui
cultivaient des idées hors ligne inventassent un langage symbolique et des
moyens de communication entre eux, tout en restant inconnus aux adversaires qui
avaient soif de leur sang. » (12)
L’auteur nous rappelle l’allégorie
indoue de Krishna, «commandant à sa mère adoptive de lui regarder dans la
bouche. Elle le fit et elle y vit l’univers entier». Ceci se rapporte
directement à l’enseignement kabbalistique affirmant que le microcosme n’est
que le reflet fidèle du macrocosme, — la copie photographique, pour qui sait
comprendre. Voici pourquoi Cornelius Agrippa, le plus généralement connu
peut-être des alchimistes, nous dit :
« Il est une chose créée, le sujet
de l’étonnement, au ciel comme sur la terre. C’est un composé des règnes
animal, végétal et minéral; on la trouve partout, quoiqu’elle soit connue d’un
très petit nombre d’hommes, et qu’elle ne soit appelée de son vrai nom par
personne, car elle est enfouie dans des nombres, des figures et des énigmes,
sans quoi ni l’alchimie ni la magie naturelle ne pourraient jamais atteindre à
sa perfection. » (13)
L’allusion devient encore plus claire,
si on lit un certain passage publié dans l’Encheiridion
des Alchimistes, en 1672 :
« Or, je veux rendre manifeste à
tes yeux, dans ce discours, la condition naturelle de la pierre des
philosophes, enveloppée de son triple vêtement, cette pierre de richesse et de
charité qui contient tous les secrets, et qui est un mystère divin, dont la
nature sublime n’a pas sa pareille dans la monde. Observe donc bien ce que je
te dis là, et souviens-toi qu’elle a un triple appareil, à savoir: le corps,
l’âme et l’esprit. »
En d’autres termes cette pierre
contient: le secret de la transmutation des métaux, celui de l’élixir de longue
vie et de l’immortalité consciente.
C’est ce dernier secret que les anciens
philosophes se plaisaient à découvrir, laissant aux petits philosophes, aux
faux nez modernes, le soin de se le casser sur les deux premiers. C’est le
Verbe ou le «nom ineffable» dont Moïse disait qu’il n’était nul besoin de
l’envoyer quérir par des messagers, «car le Verbe est fort proche de toi; il
est dans ta bouche et dans ton cœur».
C’est ce que dit aussi, en d’autres
termes, Philaletha, l’alchimiste anglais :
« Dans le monde nos écrits seront
comme un couteau à double tranchant; quelques-uns s’en serviront pour ciseler
des objects d’art, d’autres ne parviendront qu’à se couper les doigts.
Cependant, ce n’est pas nous qui sommes à blâmer, puisque nous prévenons
sérieusement tous ceux qui s’essaient à l’œuvre, qu’ils entreprennent là une
pièce de philosophie la plus élevée dans la nature. Et cela, que nous écrivions
en anglais, nos écrits resteront du grec pour quelques-uns, qui néanmoins
persisteront à croire qu’ils nous ont bien compris, tandis qu’ils dénaturent le
sens de ce que nous enseignons, de la manière la plus perverse: car peut-on
s’imaginer que ceux qui sont des sots dans la nature, puissent devenir des
sages pour avoir lu des livres, lorsque ses derniers ne sont que les témoins de
la nature? » (14)
Espagnet avertit ses lecteurs dans le
même sens. Il supplie que :
« Les amants de la nature, de ne lire
que peu d’auteurs et seulement ceux qui sont reconnus comme des écrivains dont
la véracité et l’intelligence sont au-dessus du soupçon. Que le lecteur
comprenne vite ce qui n’est qu’effleuré par l’auteur, surtout lorsqu’il s’agit
de noms mystiques et d’opérations secrètes; car, ajoute-t-il, la vérité gît
dans l’obscurité; les philosophes (Hermétiques), trompant le plus lorsqu’ils
semblent écrire le plus clairement, et ne divulguant jamais plus de secrets
qu’alors qu’ils s’expriment de la manière la plus obscure. »
La codification de l’alchimie
La vérité ne peut être donnée au
public; moins encore aujourd’hui qu’au jour où les apôtres recevaient le
conseil de ne pas jeter leurs perles devant les pourceaux. — Tous ces fragments
que nous venons de citer sont donc autant de preuves de ce que nous avançons.
En dehors des écoles d’adeptes presque
inabordables pour les Occidentaux, il n’existe point, dans l’Univers entier (et
en Europe moins que partout ailleurs) un seul livre sur les sciences occultes,
l’alchimie, surtout, qui soit écrit en langage clair et précis, ou qui offre au
public un système ou une méthode à suivre comme dans les sciences physiques.
Tout traité venant d’un initié ou même
d’un adepte, ancien ou moderne, ne pouvant révéler le tout, se bornera à jeter
la lumière sur certains problèmes qui pourraient être révélés, au besoin, à
ceux qui méritent de savoir, tout en restant voilés pour ceux qui sont indignes
de recevoir la vérité car ils en abuseraient.
Donc celui qui, tout en se plaignant de
l’obscurité et de la confusion qui semblent régner dans les écrits des
disciples de l’école d’Orient, opposerait à ces derniers les ouvrages, soit du
moyen âge, soit modernes, qui semblent écrits avec clarté, ne prouverait que de
deux choses l’une: ou il trompe son public, en se trompant lui-même; ou bien il
fait de la réclame pour le charlatanisme moderne, tout en sachant qu’il trompe
ses lecteurs.
Il est facile de trouver quelques
ouvrages semi-modernes, écrits avec précision et méthode, mais ne donnant que
les hypothèses personnelles de l’auteur, c’est-à-dire n’ayant de valeur que
pour ceux qui ne savent absolument rien de la vraie science occulte.
On commence à faire grand cas d’Éliphas
Lévi, qui seul en savait, en vérité, plus peut-être que tous nos grands mages
européens de 1889, réunis ensemble. Mais, une fois qu’on aura lu, relu et
appris par cœur la demi-douzaine de volumes de l’abbé Louis Constant, de
combien sera-t-on avancé dans les sciences occultes pratiques, ou même dans les
théories des kabalistes ?
Son style est poétique et charmant; ses
paradoxes, —et presque chaque phrase dans ses volumes en est un,— sont d’un
esprit tout français. Mais, lorsqu’on les aura appris à pouvoir les réciter de
mémoire d’un bout à l’autre qu’auront-ils enseigné, ces volumes, je le demande ?
Rien, absolument rien, — sauf le
français peut-être.
Nous connaissons plusieurs des élèves
du grand mage moderne, en Angleterre, en France et en Allemagne, — tous des
gens sérieux, d’une volonté inébranlable et dont plusieurs ont sacrifié des
années à ces études. Un de ses disciples lui avait fait une rente viagère,
pendant plus de dix ans, lui payant en plus 100 francs par lettre, pendant ses
absences forcées. Cette personne, au bout de dix ans, en savait moins sur la
magie et la kabbale qu’un chela de dix ans, chez un astrologue indien!
Nous avons ces lettres sur la magie, en
plusieurs volumes manuscrits, dans la bibliothèque d’Adyar, en français et
traduits en anglais, et nous défions les admirateurs d’Éliphas Lévi de nous
nommer une seule personne qui serait devenue un occultiste, même en théorie, en
suivant l’enseignement du mage français.
Pourquoi, puisqu’il est évident qu’il
avait eu ces secrets d’un initié ?
Simplement parce qu’il n’avait jamais
eu le droit d’initier à son tour. Ceux qui savent quelque chose des sciences
occultes nous comprendront; les prétendants nous contrediront et ne nous en
haïront que davantage pour ces dures vérités.
Les sciences occultes, ou plutôt la
clef qui seule peut expliquer leur jargon et leurs symboles ne peut être
divulguée; — semblable au Sphinx qui meurt au moment où l’énigme de son être
est devinée par un Œdipe, elles ne sont occultes que tant qu’elles restent
inconnues au mortel non initié. Ensuite elles ne se vendent pas, et ne peuvent
être achetées.
Un Rose-Croix devient, «il n’est pas
fait», dit un vieil adage des philosophes hermétiques, auquel les occultistes
ajoutent: «La science des dieux s’acquiert par violence: elle est conquise mais
ne se donne pas».
C’est justement ce que voulait dire
l’auteur des Actes des Apôtres [viii, 20], lorsqu’il a écrit la réponse de
Pierre à Simon le Magicien: «que ton argent périsse avec toi, puisque tu as cru
que le don de Dieu s’acquérait avec de l’argent». Le savoir occulte ne doit
servir ni à faire de l’argent, ni à aucun égoïste, pas même à la vanité
personnelle.
Allons plus loin, et disons-le tout de
suite. — A moins d’un cas exceptionnel où l’or servirait à sauver toute une
nation, l’acte même de la transmutation, où l’idée d’acquisition de richesse
serait le seul motif, devient de la magie noire. Donc, ni les secrets de la
magie ou de l’occultisme, ni ceux de l’alchimie, ne pourront être jamais
révélés, durant l’existence de notre race qui adore le veau d’or avec une
frénésie toujours croissante.
De quelle valeur pourrait donc être
tout ouvrage qui promettrait de nous donner la clef de l’initiation dans l’une
ou l’autre de ces deux sciences, qui ne font en vérité qu’une?
Nous comprenons for bien des
Adeptes-Initiés, comme l’était Paracelse ou Roger Bacon. Le premier fut un des
grands précurseurs de la chimie moderne; le second celui de la physique.
Roger Bacon, dans son Traité sur la
Force admirable de l’Art et de la Nature, le démontre bien. Toutes les sciences
de nos jours y sont annoncées. Il y parle de poudre à canon et prédit l’usage
de la vapeur comme force de propulsion. La presse hydraulique, la cloche de
plongeur et le kaléidoscope y son décrits; il prophétise l’invention des
instruments à voler, construits de telle manière que celui qui est assis au
milieu de cet instrument, dans lequel chacun reconnaîtra une variété du ballon
moderne, n’a qu’a tourner une machine qui met en mouvement des ailes
artificielles, lesquelles commencent immédiatement à battre l’air à l’instar d’oiseaux
volants! Après quoi il défend ses frères, les alchimistes, de l’accusation de
se servir d’une cryptographie secrète.
La raison de ce mystère, parmi les
sages de tous les pays, c’est le mépris et la négligence montrés pour les
secrets de la sagesse, ces gens ne sachant pas user des choses qui sont les
plus excellentes. Même ceux d’entre eux qui peuvent concevoir une idée par
rapport à quelque chose d’utile la doivent généralement au hasard et à leur
bonne fortune, et abusent beaucoup de leur science aux grands détriments et
male chance de beaucoup de personnes, de sociétés entières quelquefois.
Tout cela prouve que celui qui publie
nos secrets est pire qu’un fou, à moins qu’il ne voile bien ce qu’il révèle aux
multitudes, et ne le livre que déguisé d’une telle façon que même l’érudit le
comprend avec peine . . . Il y en a parmi nous qui cachent leurs secrets sous
une certaine manière d’écrire, n’usant par exemple que des consonnes, de façon
que celui qui lit ce genre d’écriture ne puisse en déchiffrer le vrai sens que
lorsqu’il connait la signification des mots [le jargon hermétique]. (15)
Ce genre (de cryptographie) était en
usage chez les Juifs, les Chaldéens, les Syriens, les Arabes et même les Grecs,
et fort répandu autrefois, particulièrement parmi les Juifs.
Ce qui nous est démontré par les
manuscrits hébreux du Vieux Testament, les livres de Moïse ou le Pentateuque,
que l’introduction des points masorétiques ont rendus dix fois plus
fantastiques. Mais, ainsi que pour la Bible, à qui le Masorah et la ruse des
pères de l’Église ont fait dire tout ce qu’ils voulaient, excepté ce qu’elle
disait réellement, il en a été de même pour les livres cabalistiques et
alchimiques.
La clef des deux étant perdue, depuis
des siècles, en Europe, la cabale (la bonne cabale du marquis de Mirville,
selon l’ex-Rabbin, le chevalier Drach, le pieux et fort catholique hébraisant)
sert, à l’heure qu’il est, de témoin à décharge pour le Nouveau aussi bien que
pour le Vieux Testament.
Selon les kabalistes modernes, le Zohar
est un livre de prophéties des dogmes catholiques de l’Église latine et la
pierre fondamentale de l’Évangile; ce qui pourrait bien avoir du vrai, s’il
était admis, en même temps, que dans les Évangiles et la Bible, chaque nom est
symbolique comme chaque récit est allégorique, de même que dans toutes les
écritures sacrées qui précédèrent le canon chrétien.
Résumé
Avant de clore cet article qui devient
trop long, faisons un résumé rapide de ce que nous avons avancé.
Je ne sais si nos arguments et
citations copieuses produiront leur effet sur nos lecteurs en général. Ce dont
je suis tout à fait certaine, c’est que sur les cabalistes et les «Maîtres»
modernes, notre article produira l’effet du chiffon rouge sur les taureaux dans
l’arène: mais il y a beau temps que les cornes les plus pointues ne nous font
plus peur.
Ces «Maîtres» doivent toute leur
science à la lettre morte de la cabale, et aux interprétations fantastiques de
quelques mystiques du siècle passé et du siècle présent, — sur les thèmes
desquels les «Initiés» des bibliothèques et musées ont fait des variations à
leur tour; aussi les défendront-ils avec bec et ongle. Le public n’y verra que
du feu, et c’est celui qui criera le plus fort qui restera vainqueur.
Néanmoins, — Magna est veritas et praevalebit. (La vérité est puissante et prévaudra)
1. Il est bien avéré que l’alchimie a
pénétré en Europe venant de la Chine, et que, tombée dans des mains profanes,
l’alchimie (comme l’astrologie) n’est plus la science pure et divine des écoles
du Thoth-Hermès Égyptien des premières Dynasties.
2. Il est aussi certain que le Zohar,
dont l’Europe et autres pays chrétiens possèdent des fragments, n’est pas le
Zohar de Simon ben-Yochaï, mais une compilation de vieilles traditions et d’écrits
collectionnés par Moïse de Léon de Guadalajara, au XIIIème siècle; lequel,
selon Mosheirn, a suivi en beaucoup de cas les interprétations qui lui furent
fournies par les gnostiques chrétiens de la Chaldée et de la Syrie, où il alla
les chercher.
Le vieux et véritable Zohar ne se
trouve en entier que dans le Livre Chaldéen des Nombres, dont il n’existe
aujourd’hui que deux ou trois copies incomplètes entre les mains des rabbins
initiés. L’un d’eux vécut en Pologne, dans une grande retraite, et il détruisit
son exemplaire avant de mourir, en 1817; quant à l’autre, le rabbin le plus
savant de la Palestine, il émigra de Jaffa, il y a quelques années.
3. Des vrais livres hermétiques, il
n’existe que le fragment connu sous le nom de Table Smaragdine, dont nous
parlerons tout à l’heure. Tous les écrits compilés sur les livres de Thoth ont
été détruits et brûlés, en Égypte, par l’ordre de Dioclétien, au IIIème siècle
de notre ère. Tout le reste, — «Pymandre» y inclus, — n’est, dans sa forme
présente, que réminiscences, plus ou moins vagues et erronées, de divers
auteurs grecs et même latins, qui ne se gênaient pas souvent pour faire passer
leurs propres interprétations comme de vrais fragments hermétiques. Et, quand
même il en existerait par hasard, ils resteraient aussi incompréhensibles aux
«Maîtres» d’aujourd’hui que les livres des alchimistes du moyen âge.
Ceci nous est prouvé par leurs
confessions personnelles et fort sincères dont nous venons de citer quelques
passages. Nous avons montré leurs raisons pour cela:
A) leurs mystères étaient trop sacrés
pour être profanés par les ignorants, n’étant écrits et expliqués dans leurs
traités qu’à l’usage du petit nombre d’adeptes initiés; et ils étaient trop
dangereux dans les mains de ceux qui étaient capables d’en abuser;
B) au moyen âge, les précautions
devinrent dix fois plus grandes: s’en départir, c’était risquer d’être rôti
vivant, à la plus grande gloire de Dieu et de son Église.
4. La clef du jargon des alchimistes,
et du vrai sens des symboles et allégories de la cabale, n’existe plus qu’en
Orient. N’ayant jamais été retrouvé en Europe, qu’est-ce donc qui sert d’étoile
conductrice à nos cabalistes modernes pour reconnaître la vérité dans les
œuvres des Alchimistes et le petit nombre de traités écrits par de vrais
initiés qui existent dans nos bibliothèques nationales ?
Il résulte de tout cela qu’une fois
qu’ils rejettent la main qui, seule, est capable, dans ce siècle, de leur
fournir la clef du vieil ésotérisme et de la religion de la Sagesse, — Messieurs
les cabalistes, — les «Élus de Dieu», «Prophètes» modernes compris, — jettent
au vent leur seule chance d’étudier les vérités primitives et d’en profiter.
Ce n’est toujours pas l’école d’Orient
qui y perd quelque chose.
Nous nous sommes laissé dire que
beaucoup de cabalistes français ont exprimé souvent l’opinion que l’École
d’Orient ne pouvait guère valoir quelque chose, se piquer de posséder des
secrets inconnus aux occultistes Européens, pour la bonne raison qu’elle admettait
des femmes dans ses rangs.
A ceci nous pourrions répondre en
répétant une certaine fable rapportée par le «grand patron» de la Loge
Maçonnique des femmes aux États-Unis, (16) le frère Jos. S. Nutt, pour démontrer ce
que la femme ferait, si elle n’avait pas pour entrave le mâle, — que ce dernier
soit homme ou Dieu :
« Un lion passant près d’un
monument qui représentait en relief un homme athlétique et puissant déchirant
la gueule d’un lion, dit: ‘Si la scène représentée eût été exécutée par un
lion, les deux personnages eussent changé de rôles!’ »
De même en est-il pour la femme. Lui
serait-il permis de représenter les scènes de la vie humaine, elle
distribuerait les rôles à rebours. C’est elle la première qui conduisit l’homme
vers l’arbre de la science et lui fit connaître le bien et le mal; et, si on
l’eût laissé faire tranquillement ce qu’elle voulait, elle l’eût conduit à
l’arbre de la vie et l’eût ainsi rendu immortel.
NOTES
- Philosophie de Sankhya (Kapila).
- [Michel-Eugène Chevreul, famous French chemist, born at Angers, August 31, 1786. He died at Paris, April 9, 1889, being then 103 years old. — Zircoff.]
- Royal Masonic Cyclopaedia, p.310.
- Saint Paul l’explique fort clairement; Sarah représente, selon lui, la «Jérusalem d’en-haut» et Agar une «montagne d’Arabie», Sinai ayant «rapport à la Jérusalem d’à présent» (Ép. aux Galates, iv, 25-26).
- A. de Gubernatis qui trouve (Zoological Mythology, Vol. I, pp. 402-03, 428-32), que, paree qu’en «sanscrit le bélier est appelé mesha or meha, celui qui verse ou qui répand», le belier à la toison d’or des Grecs doit être, par conséquent «le nuage . . faisant de l’eau» (nous remplaçons le verbe original); et F.L.W. Schwartz qui compare la toison du bélier à la nuit orageuse, nous apprend que «le bélier parlant est la voix qui semble sortir du nuage électrique» (Ursprung der Mythologie, p. 219, note 1), nous font rire, Ils sont trop pleins de nuages eux-mêmes, les braves savants, pour que leurs interprétations fantastiques soient jamais acceptées par l’étudiant sérieux. Et cependant Paul Decharme, l’auteur de la Mythologie de la Grèce antique, semble partager ces opinions!
- «The Study of Alchemy in China», par le Reverend W. A.P. Martin, de Pékin. [Paper read in October, 1868, at the meeting of the Oriental Society, at New Haven, Conn., U.S.A. — Zircoff.]
- Op. cit.
- «Alchemy, or the Hermetic Philosophy», par Dr. Alexander Wilder [In his New Platonism and Alchemy, Albany, N.Y., 1869, p. 26. — Zircoff.]
- Ibid.
- [Centrum Naturae Concentratum, etc., London, 1696. Vide footnote appended to the English translation of the present essay, for more particulars. — Zircoff.]
- [Eyraeneus Philaletha Cosmopolita, Secrets Revealed, etc., Chapter 13, p. 33. — Zircoff.]
- [New Platonism and Alchemy, p. 26. — Zircoff.]
- [Quoted by Dr. A. Wilder, in op. cit., p. 28. — Zircoff.]
- [Irenaeus Philaletha or Eirenaeus Philalethes, Ripley Revived, etc., 1678, p.159-60. — Zircoff.]
- [Roger Bacon, op. cit., chapter VIII. — Zircoff.]
- Le grand chapitre, ordre de l’Étoile de l’Orient (The Eastern Star) de l’État de New York, Conférence et Discours dans le grand chapitre. — La Femme et l’Étoile de l’Orient, 4 avril 1877.
(Cet article a originalement été publié avec le titre «L’alchimie au dix-neuvième siècle»
dans la Revue Théosophique. Paris, Vol. II, Nos. 8, 9, 10, octobre, novembre et
décembre, 1889, p.49-57, 97-103, 145-149, respectivement. Puis dans les Blavatsky Collected Writings XI, p.505-527, compilés par
Boris de Zircoff.)
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