C’est un petit livre de 30 pages écrit par l’occultiste français Papus.
Le titre complet est : Anarchie, indolence et
synarchie. Les lois physiologiques d’organisation sociale et l’ésotérisme.
Mais ce titre est incorrect parce que dans ce livre Papus
n’aborde pas l’aspect ésotérique et seulement il disserte sur différents systèmes
politiques.
Dans la couverture du livre apparaît qu’il est :
Président du groupe indépendant
d’études ésotériques et
Directeur de la revue
Initiation
Et que ce livre fut publié en 1894 par :
Chamuel Editeur
29 rue de Trévise
Paris
TEXTE
(À continuation je vous transcris son contenu et en
pourpre j’ai ajouté mes commentaires.)
Introduction
La jeunesse contemporaine, élevée d'après les méthodes du
positivisme matérialiste, s'est révoltée contre l'étroitesse intellectuelle
imposée par ces méthodes et s'est lancée à corps et souvent aussi à tète
perdus, à la recherche d'un idéal.
L'idéal religieux n'existant que pour fort peu de ces
jeunes gens en qui on s'est attaché à le détruire, la plus grande partie des chercheurs
a voulu poursuivre le culte de l'humanité, étudier ses souffrances et
déterminer ses lois d'existence et d'évolution. De là le dégoût de la politique
et l'amour des systèmes de réforme sociale, de là le succès du socialisme
auprès de beaucoup des intellectuels contemporains.
Les générations précédentes, créatrices de nos parlements
actuels, avaient porté toutes leurs aspirations vers la politique et ces
combinaisons de groupes qui paraissent aux jeunes gens qui pensent, autant de
fantasmagories ridicules destinées a retarder le progrès.
Aussi le philosophe, dont la fonction principale consiste
à dominer son époque et les faits contemporains, doit-il considérer sans
étonnement l'antagonisme intellectuel qui sépare les vieux pères de leurs
jeunes enfants ; il s'agit là d'une de ces lois de l’évolution de l’idée si bien mise au jour par un philosophe dont nous
reparlerons tout à l'heure: F.-Ch. Barlet.
Nous n'avons pas l'intention de prendre parti dans ce
débat. Nous voudrions simplement appeler l'attention sur certaines recherches
poursuivies par un groupe de « jeunes » contemporains et ayant pour
but d'étudier les rapports qui peuvent exister entre l'organisme humain et l'organisme
social.
Les premières conséquences tirées de ce travail tendant à
prouver la nécessité d'une synthèse scientifique, morale et religieuse (sans distinction
de culte), un des maîtres a choisi pour titre de sa loi d'organisation le mot de
Synarchie, qui par son opposition
absolue avec le mot Anarchie, indique
bien le caractère des études poursuivies et leur but.
Nous allons donc passer successivement en revue :
1.
L'origine et le sens du
mot « synarchie ».
2.
La conception des
gouvernements actuels par l'auteur de cette synarchie.
3.
Les travaux poursuivis
actuellement à la suite de ces publications ou se rattachant à ces
publications.
4.
Les déductions qu'on
peut tirer de ces travaux au point de vue de l'avenir de la société humaine en
Occident et le rôle des gouvernants de demain comparés aux gouvernants
d'aujourd'hui.
Nous pensons qu'à côté des études plus savantes sur le
mouvement socialiste, notre résumé fournira à nos lecteurs des renseignements
peu connus sur un mouvement encore trop ignoré.
La Synarchie
Après avoir passé près de vingt années à l'étude
approfondie de l'histoire, un chercheur contemporain, le marquis de Saint-Yves d’Alveydre
établit l'existence d'une loi d'organisation des sociétés telle que les peuples
qui avaient mis cette loi en application avaient vu leur gouvernement durer des
siècles, tandis qu'au contraire ceux qui avaient perdu la notion de cette loi
ne tardaient pas à se troubler plus ou moins profondément.
De là le nom de synthèse du gouvernement ou Synarchie donné à cette toi
d'organisation sociale.
Avant tout, qu'il nous soit permis de bien différencier les
recherches de M. de Saint-Yves d'avec les conceptions plus ou moins utopiques
des socialistes contemporains. La Synarchie a été appliquée pendant des siècles
à l'humanité et fonctionne encore avec peu de modifications en Chine. Ce n'est
donc pas un rêve, ni une invention destinée à faire ses preuves c'est une réalité
dont on peut tenir plus ou moins compte, mais qui n'en existe pas moins.
La Synarchie est la loi de vitalité existant aussi bien
dans l'organisme social que dans l'organisme humain, et à la rigueur tout
chercheur peut découvrir cette loi en appliquant à la société les principes de
physiologie qui dirigent l'organisme humain, considéré comme le plus évolué des
organismes animaux.
Après avoir consacré plusieurs ouvrages à la vérification
de cette loi dans l'histoire, les livres : La Mission des Juifs exposant l'histoire universelle, La Mission des Souverains exposant l'histoire
de l'Europe, et La Mission des Français
exposant l’histoire de France, M. de Saint-Yves a fait tous ses efforts pour
montrer comment par simple décret, on pouvait appliquer cette loi à notre
société actuelle. Il y a donc loin de là à la révolution pacifique ou violente
précitée par les socialistes et à la destruction des rouages sociaux prêchée
par les anarchistes.
Efforçons-nous donc tout d'abord de résumer de notre
mieux cette synarchie.
Ce qui frappe en premier lieu le chercheur dans les
ouvrages de notre auteur, c'est la généralité de ces principes qui sont ici
appliqués uniquement au social. Nous pouvons affirmer sans crainte d'être contredit
que Saint-Yves d'Alveydre a trouvé la physiologie dé l'Humanité ; bien
plus qu'il a déterminé la loi de relation des divers groupés de l'humanité
entre eux. Quoi qu'il dise, c'est l'analogie qui a guidé partout les investigations
de cet auteur, et pour le prouver nous allons exposer son idée de Synarchie
uniquement par la physiologie humaine.
Ayant poussé particulièrement nos recherches vers ce
point, il nous sera d'autant plus facile de l'exposer au lecteur.
Tout est analogue dans l'Univers ; la loi qui dirige
une cellule de l'homme doit scientifiquement diriger cet homme, la loi qui
dirige un homme doit scientifiquement diriger une collectivité humaine, une
nation, une race.
(Oui et non, parce que l’homme dispose du
libre arbitre, tandis que la cellule non.)
Étudions donc rapidement la constitution physiologique
d'un homme. Point n'est besoin pour cela d'entrer dans de grands détails et nos
déductions seront d'autant plus vraies qu'elles s'appuieront sur des données
plus généralement admises.
L'homme mange, l'homme vit, l'homme pense.
Il mange et se nourrit grâce à son estomac, il vit grâce
à son cœur, il pense grâce à son cerveau.
Ses organes digestifs sont chargés de diriger l’économie de la machine, de remplacer
les pertes par de la nourriture et de mettre en réserve les excédents à
l'occasion.
Ses organes circulatoires sont chargés de porter partout la
force nécessaire à la marche de la machine, de même que les organes digestifs
fournissent la matière. Ce qui a la force, c'est un pouvoir, les organes circulatoires exercent donc le pouvoir dans la
machine humaine.
Enfin les organes nerveux de l'homme dirigent tout cela.
Par l'intermédiaire du grand sympathique inconscient marchent les organes
digestifs et circulatoires par l'intermédiaire du système nerveux conscient, les
organes locomoteurs. Les organes nerveux représentent l'autorité.
Économie, Pouvoir, Autorité voilà le résumé des trois
grandes fonctions renfermées dans l'homme physiologique.
Quelle est la relation de ces trois principes entre eux ?
Tant que le ventre reçoit la nourriture nécessaire,
l'économie fonctionne bien. Mais si le cerveau, de propos délibéré, veut
restreindre la nourriture, alors l'estomac crie : « J'ai faim,
ordonne aux membres de me donner la nourriture nécessaire ».
Et si le cerveau résiste, alors l'estomac cause la ruine
de tout l'organisme et par lui-même celle du cerveau; l'homme meurt de faim.
Tant que les poumons respirent à l'aise, un sang
vivificateur, c'est-à-dire puissant,
circule dans l'organisme. Mais si le cerveau refuse de faire marcher les
poumons ou les conduits dans un milieu malsain, ceux-ci préviennent le cerveau
de leur besoin par l'angoisse qui peut se traduire par : « Donne-nous
de l'air pur, si tu veux que nous fassions marcher la machine ».
Mais si le cerveau n'a plus assez d'autorité pour le
faire, alors les jambes ne lui obéissent plus, elles sont trop faibles, tout
s'écroule et l'homme meurt d'asphyxie.
Nous pourrions pousser cette étude plus loin, mais nous pensons
qu'elle suffit à montrer au lecteur le jeu des trois grandes puissances : Économie,
Pouvoir, Autorité, dans l'organisme humain.
Retrouvons maintenant ces grandes divisions dans la
société.
Réunissez en un groupe toute la richesse d'un pays avec
tous ses moyens d'action : agriculture, commerce, industrie, etc. Vous
aurez le ventre de ce pays, constituant la source de son ÉCONOMIE.
Réunissez en un groupe toute l'armée, tous les magistrats
d'un pays. Vous aurez la poitrine de ce pays, constituant la source de son POUVOIR.
Réunissez en un groupe tous les professeurs, tous les
savants, tous les membres de tous les cultes, tous les littérateurs d'un pays.
Vous aurez le cerveau de ce pays, constituant la source de son AUTORITÉ.
Voulez-vous maintenant découvrir le rapport scientifique de
ces groupes entre eux, dites :
VENTRE = ÉCONOMIE
= ÉCONOMIQUE
POITRINE = POUVOIR
= JURIDIQUE
TÊTE = AUTORITÉ
= ENSEIGNANT
Et établissez Les rapports physiologiques.
Qu'arrivera-t-il si, dans un État, l'Autorité refuse de donner satisfaction
aux justes réclamations des gouvernés?
Établissez cela analogiquement, et dites :
Qu'arrivera-t-il si dans un organisme le cerveau refuse
de donner satisfaction aux justes réclamations de l'estomac?
La réponse est facile à prévoir. L'estomac fera souffrir le
cerveau et finalement l'homme mourra.
Les gouvernés feront souffrir les gouvernants et
utilement la nation périra.
La loi est fatale.
Ainsi dans la physiologie de la société comme dans celle
de l'homme individuel, il existe un double courant :
1.
Courant des gouvernants
aux gouvernés, analogue au courant du système nerveux ganglionnaire aux organes
viscéraux;
2.
Courant réactionnel des
gouvernés aux gouvernants, analogue au courant des fonctions viscérales aux
fonctions nerveuses.
Les pouvoirs Enseignant, Juridique, Économique,
constituent le second courant.
Le premier est formé par les pouvoirs Législatif,
Judiciaire, Exécutif.
Tels sont les deux pôles, les deux plateaux de la balance
synarchique.
Nous avons choisi cette façon d'exposer le système de M.
Saint-Yves d'Alveydre afin de mieux faire sentir à tous son caractère dominant
une analogie toujours strictement observée avec tes manifestations de ta vie
dans la nature.
Tel est et sera toujours le cachet d'une création se
rattachant au véritable ésotérisme ; tout système social ne suivant pas
analogiquement les évolutions naturelles est un rêve et rien de plus.
On voit que, somme toute, ta découverte mise à jour dans les
livres sur les Missions est celle de
la loi des gouvernés (Enseignant, Juridique, Économique) car la loi des
gouvernants (Législatif, Judiciaire, Exécutif) est connue depuis bien long temps,
transmise par le monde païen.
Déterminer scientifiquement l'existence et la loi de la
vie organique d'un peuple ; déterminer de même la vie de relation de
peuple a peuple et de race à race : tels sont les problèmes étudiés dans
les ouvrages de Saint-Yves d'Alveydre.
Partout la vie doit suivre des lois analogues ;
aussi, pour ne parler qu'en passant de la vie de relation des peuples européens
entre eux, il ne faut pas être un grand clerc pour voir son organisation
antinaturelle. Représentez-vous, en effet, des individus agissant entre eux
comme le font les grandes puissances ?
Combien de temps resteraient-ils sans aller à la guerre ?
La loi qui règle aujourd'hui les relations de peuple à
peuple c'est celle des brigands, toujours armes, toujours prêts à s'allier pour
tomber sur le plus faible et se partager sa fortune. Quel exemple pour les citoyens !
C'est pourquoi le chercheur peut scientifiquement parler
à tous les peuples et leur dire :
« Changez vos rois, changez vos gouvernements, vous
ne ferez rien qu'aggraver vos maux. Ceux-ci viennent non pas de la forme
gouvernementale, mais bien de la Loi qui la Constitue. Par contre appliquez la
loi de la nature et l'avenir s'ouvrira radieux pour vous et vos enfants ! »
Conception des gouvernements actuels
La Synarchie, fonctionnant non plus comme un système,
mais comme une loi scientifique, permet donc de voir la situation exacte
qu'occupent les diverses formes de gouvernement dans la hiérarchie des sciences
sociales. Aussi allons-nous laisser la parole à M. de Saint-Yves lui-même, afin
de mieux faire connaître ses travaux dans son exposé de la définition des diverses
formes de gouvernement. L'extrait suivant est tiré de son livre La Mission des Souverains, chapitre 1er.
Dans ces recherches sur l'origine du droit commun et du
gouvernement général de l'Europe, nous aurons à prononcer souvent les noms de
république, de monarchie et de théocratie.
Il importe de déterminer l'exacte et rigoureuse
signification de ces noms, sans procéder par abstraction idéologique, comme on
ne l'a que trop fait depuis Platon jusqu'à Montesquieu, mais par l'observation
et par l'expérience, dont l'Histoire est le procès-verbal.
Comme notre but est tout autre que de nous tromper nous-mêmes
en sacrifiant à la mysticité politique des autres, nous ne reculerons pas
devant la scientifique vérité.
Les formes de gouvernement que nous avons à définir
d'après leurs caractères historiques, sont pures ou mixtes, radicales ou composées,
selon que leur titre nominal est ou n'est pas l'expression de leur principe
propre et du moyen par lequel il doit tendre à réaliser sa fin.
La République
Le principe de la République pure est la volonté
populaire.
La fin que se propose cette volonté est la liberté
illimitée des citoyens, et le moyen par lequel ce principe tend à réaliser cet objectif
est l'égalité juridique, sans distinction de plans, sans hiérarchie de
fonctions. La condition radicale, l'organisme typique correspondant à l'emploi
de ce moyen, est la nomination directe des magistrats par le peuple assemblé en
masse, sans représentants ni délégués, en un mot, sans intermédiaires.
Mais la garantie de cette forme de gouvernement est
l'esclavage domestique, l'asservissement civil, agricole ou militaire du plus
grand nombre, l'exil ou l'ostracisme politique.
Athènes réalisa ce type réel de la République mais
l'éclat dont elle brilla ne doit pas faire illusion, car il est emprunté à des
institutions théocratiques importées en Grèce, de Phénicie et surtout d'Égypte :
mystères d'Orphée, rites de Delphes et d'Eleusis, Amphiotyons, etc.
La liberté des citoyens avait dans cette République
l'esclavage pour garantie, et personne n'était à l'abri de cette redoutable et
perpétuelle menace.
C'est ainsi que, si Nicétès n'avait pas racheté la
liberté de Platon, ce vulgarisateur de Pythagore, malgré sa métaphysique
fantaisiste sur la République, aurait dû limiter ses vertus républicaines à la
stricte pratique de ses devoirs d'esclave, sous peine du fouet, de la torture
et du pal.
Carthage eut également une République pure, avec la terreur
comme ressort, dans la statue de Moloch, et l'esclavage des Numides, comme base
et piédestal, comme support et garantie de la liberté.
Fondée par des brigands, ancien bourg de l'Étrurie
théocratique, Rome, plus grossière qu'Athènes, plus brutale encore que
Carthage, se conforma également à la donnée de la République radicale, quoique
avec certains tempéraments, que lui imposèrent les débris de la royauté et de
la théocratie, dont elle essaya vainement d'effacer l'influence et le souvenir.
C'est ainsi que le Souverain Pontife romain, avec son
collège de douze grands prêtres, était armé d'un pouvoir assez considérable
pour suspendre et dissoudre les assemblées populaires, et lorsque l'opinion travaillée
par le pyrrhonisme cessa d'accorder a la religion la foi au Souverain
Pontificat le crédit nécessaire à sa fonction, alors la patrie de Cincinnatus
était devenue celle de Sylla, et Jules César allait mettre sur sa tête la tiare
et la couronne impériale.
(Ceci est incorrect, Jules César voulut
devenir empereur au détriment du Senat, non pas de la religion romaine.)
La Rome républicaine pour rester libre ne se contenta pas
de l'esclavage domestique ; elle asservit encore l'Europe et une partie de
l'Afrique et de l'Asie.
Dans la chrétienté, il n'y a jamais eu de République réelle.
Le gouvernement des villes d'Italie, de Flandre, de
Hollande, ne fut républicain que de nom. En réalité représentatif, le système de
ces villes fut municipal ou emporocratique, parfois les deux ensemble, comme
sont plus ou moins aujourd'hui l'Angleterre, les États-Unis, la Suisse et comme
voudrait être la démocratie bourgeoise de France, sans pouvoir y arriver, pour
des causes inutiles à dévoiler ici.
La Monarchie
Quand Montesquieu, après avoir dit que le principe des
républiques était la vertu, a prétendu que celui des monarchies était l’honneur,
il a pensé ça soit en courtisan des rois et des peuples, soit comme l'eut fait
aujourd'hui M. Prudhomme, mais non pas comme Montesquieu.
Le principe de la Monarchie pure est l'énergie de son
fondateur, c'est-à-dire du plus fort et du plus heureux, si l'on entend par ce
mot le plus favorisé par le destin.
La fin que se propose la Monarchie pure est l'autocratie.
Le moyen par lequel ce principe tend vers sa fin est la
centralisation de tous les pouvoirs dans la personne du monarque.
La condition juridique indispensable à l'emploi de ce
moyen, est que la loi émane directement du despote, sans représentants ni délégués
royaux, autres que des greffiers, des juges et des exécuteurs.
La garantie de cette forme de gouvernement est le meurtre
légal car dans les conditions d'anarchie publique qui nécessitent et permettent
la fondation de la Monarchie pure, pour sauver l'unité de la vie nationale, il
faut être maitre de la mort.
La Monarchie pure régna chez les Assyriens, les Cyrus,
les Attila, les Gengis-Khan, les Timour en portent le caractère réel.
Dans la chrétienté, il n'y a jamais eu de Monarchie
réelle, dans le sens absolue de ce mot.
Dans chaque pays chrétien tendant à l'unité, l'autocratie
a bien été le but des dynastes, car sans ce but, ils n'auraient pas eu de
mobile d'énergie assez puissant pour créer et conserver l'unité nationale.
Mais, quoique la plupart d'entre eux n'aient pas plus
méconnu les garanties du despotisme que leurs prédécesseurs asiatiques, ils
n'ont pas pu en user radicalement d'une manière suivie.
La Théocratie
Le principe de la Théocratie pure est la Religion.
La fin qu'elle se propose est la culture universelle des
consciences et des intelligences, leur union et leur paix sociale.
Le moyen par lequel ce principe tend vers sa fin est la tolérance
de tous les cultes et leur rappel à leur principe commun.
(C’est plutôt le contraire, c’est l’intolérance
aux autres cultes qu’incite l’émergence des régimes théocratiques.)
La condition nécessaire à l'emploi de ce moyen est
l'assentiment libre des législateurs et des peuples à l'efficacité pratique de
la science et de la vertu du sacerdoce et de son fondateur.
La garantie de cette forme de gouvernement est la réalisation
incessante de la perfection divine par le développement de la perfectibilité
humaine : Éducation, instruction, initiation, sélection des meilleurs.
Avant le schisme d'Irshou, l'Asie, l'Afrique, l'Europe
entière furent gouvernées par une Théocratie, dont toutes les religions
d'Égypte, de Palestine, de Grèce, d'Étrurie, de Gaule, d'Espagne, de
Grande-Bretagne, ne furent que le démembrement et la dissolution.
(Ça c’est faux parce que si bien les
sacerdoces avaient un grand pouvoir, ces peuples furent gouvernés par des
rois.)
Cette Théocratie, nettement indiquée dans les annales
sacrées des Hindous, des Perses, des Chinois, des Égyptiens, des Hébreux, des
Phéniciens, des Étrusques, des Druides et des Hardes celtiques, et jusque dans
les chants de l'extrême Scandinavie et de l'Islande, cette Théocratie, dis-je,
fut fondée par le conquérant que célèbrent le Ramayan de Walmiki et les
Dyonisiaques de Nonus.
C'est grâce à cette unité première dont on retrouve
partout des traces positives, et dont les anciens temples conservaient la
tradition, que nous voyons encore dans Damis et dans Philostrate, Appollonius
de Thyane, contemporain de Jésus-Christ, aller converser successivement dans
tous les centres religieux du monde et avec tous les prêtres de tous les
cultes, depuis la Gaule, jusqu'au fond des Indes et de l'Éthiopie.
De nos jours, la Franc-maçonnerie, charpente et squelette
d'une Théocratie, est la seule institution qui porte ce caractère
d'universalité, et qui, à partir du trente-troisième degré, rappelle un peu,
quant aux cadres, l'ancienne alliance intellectuelle et religieuse.
(La Franc-maçonnerie n‘est pas la charpente
et le squelette d'une théocratie.)
Moïse, initié à la science du sacerdoce d'Égypte, où
depuis le schisme d'Irshou régnait une théocratie mixte, voulu sauver de la
dissolution religieuse et intellectuelle quelques livres sacrés renfermant
d'une manière extrêmement couverte la science fondamentale de cette ancienne
unité. C'est pourquoi ce grand homme fonda cette théocratie d'Israël dont la
chrétienté et l'Islam sont les colonies religieuses.
(Je n’ai pas trouvé des documents
historiques que confirment ce que Papus affirme sur Moises.)
La chrétienté n'a jamais eu de Théocratie, soit pure,
sait mixte, parce que.la Religion chrétienne, représentée par des églises
rivales, dès le Ve siècle, et subordonnée par sa constitution démocratique
à une forme politique oscillant entre la République et l'Empire, n'a jamais pu,
comme cuite, atteindre à l'unité intellectuelle, à l'enseignement scientifique,
à l'éducation, à la sélection et à l'initiation qui sont la garantie de la
Théocratie.
Les moyens nécessaires de cette forme de gouvernement :
Tolérance de tous les cultes, leur rappel
à leur principe commun, n'ont jamais pu être employés, ni dans les conciles
généraux des premiers siècles, ni dans les conciles partiels qui ont suivi la
séparation de l'église grecque de l'église latine, ni par la papauté qui vu sa
situation politique et partive dans la chrétienté, n'a pu malgré tous ses
efforts faire ouvre que de pouvoir clérical et sectaire, ce qui est tout le
contraire de l'autorité théocratique.
(Papus se trouve confus parce qu’une
théocratie n’est pas tolérante puisque qu’elle n’accepte que la loi qu’impose
sa religion.)
Néanmoins, la puissance intellectuelle et morale de
Jésus-Christ est tellement grande, tellement théocratique, que même réduite à
la purification de l'esprit et de la conscience individuels, sans pouvoir agir
religieusement sur les sacerdoces divisés, et par eux sur les institutions
générales de l'Europe, elle a cependant déterminé dans le monde chrétien la
force universelle d'opinion qui repousse les chaines du démagogue, les
instruments de mort du despote, rend impossible l'établissement, soit de la
République absolue, soit de la Monarchie radicale, et paralyse tout
gouvernement politique réel.
Honneur et gloire en soient éternellement rendus à
Jésus-Christ !
Cependant, hâtons-nous de le dire, ce qui n'est pas
possible dans la Chrétienté, l'est partout ailleurs.
Les races d'Afrique, celles d'Asie surtout, bien que
contenues par l'Islam, tant que les Turcs possèdent Constantinople, sont dans
des conditions qui permettent rétablissement de la Monarchie pure.
Et qu'on ne croie pas que les armes matérielles de notre
civilisation, que nos systèmes modernes de guerre, nous soient exclusivement
acquis ; ils se prêtent, au contraire, le mieux du monde, aussi bien au
tempérament disciplinaire de ces races qu'aux invasions par masses profondes
dont elles sont coutumières, dès qu'un despote assez énergique les rassemble et
les soulève.
Ce n'est pas un million, mais vingt millions d'hommes
armés et entraînés à l'européenne, que les efforts réunis des peuples d'Afrique
et d'Asie, soutenus par l'Islam et l'empire chinois peuvent lancer, à un moment
donné, sur l'Europe divisée contre elle-même.
Reprenant sa route habituelle des côtes d'Afrique en
Italie et en Espagne, d'Italie et d'Espagne vers le cœur de l'Occident, du
Caucase jusqu'à l'Atlantique, ce déluge humain peut de nouveau crouler,
balayant tout sur son passage.
Le gouvernement général d'Europe la prédispose plus que
jamais à toutes les conséquences de ce retour de mouvements périodiques qu'il
est possible de prévoir à de certains indices soit apparents, soit secrets.
Divisés entre eux, sans liens religieux ni juridiques réels, les États européens
seraient, les uns contre les autres, les premiers auxiliaires des envahisseurs.
Le mercantilisme est prêt à fournir les armes, pourvu
qu'on les lui paye, et on le fait, et il sait bien faire parvenir à destination
canons, fusils, boulets, balles et poudre.
La compétition coloniale, la rivalité des États, la
jalousie des peuples chrétiens donneront de plus en plus tous les instructeurs,
toutes tes instructions militaires nécessaires.
Chaque nation européenne, pourvu que le mal soit éloigné
d'elle, ne bougera certainement pas pour, en sauvegarder celle pour laquelle il
sera immédiat ou prochain; elle se réjouira, au contraire, dans sa sécurité,
sans prévoir sa catastrophe finale, car dans la politique internationale des
gouvernements dits chrétiens, tous les sentiments immoraux, et par conséquent
anti-intellectuels, sont les seuls autorisés à se produire.
Quant au ressort capable de propulser, des deux autres
continents sur le nôtre, cette formidable balistique des déluges humains, il se
trouvera, sûrement, comme autrefois, dans l'indomptable énergie d'un asiatique
ou d'un africain capable d'une monarchie absolue et d'un gigantesque et sombre
dessein propre à transporter l’âme fatidique de leurs races. De tels rois
n'hésiteront pas plus que par le passé devant les conséquences de leur principe
politique.
La Monarchie simple et ferme se montrera de nouveau en
eux, exécutrice radicale des arrêts du destin, fauchant les têtes des familles
impériales et royales détrônées, rasant par le feu des pays entiers, égorgeant les
grands, forçant les petits à marcher dans ses armées, se gorgeant de nos biens,
et pour venger leurs peuples de t'immoralité de l'Europe coloniale, changeant
nos métropoles en un monceau lugubre de pierres et d'ornements calcinés, noyant
dans le sang nos nations, ou les dispersant aux quatre coins de l'Asie et de
l'Afrique.
L'Europe chrétienne n'a plus de force politique à opposer
à ces calamités, la République pure et la Monarchie simple y étant également
impossibles en raison de l'immoralité nécessaire de leurs garanties. Pour ces
motifs, comme beaucoup d'autres, il nous faudra chercher, en dehors de la
politique, le lien possible des nations européennes. Nous devons parler
maintenant du tempérament par lequel on essaie, depuis si longtemps, de remplacer
en Europe les garanties de la Monarchie et de la République réelles, et le
lecteur a déjà deviné qu'il s'agit des institutions représentatives.
(Ici Papus déraille, et la preuve est que
sa peur pour une invasion d’Europe par les peuples d’Afrique et d’Asie ne s’est
pas produite.)
Les Institutions Représentatives
On a dit que l'idée des représentants était moderne ;
c'est une des erreurs de notre temps.
Comme chaque paysan croit son village plus beau que tous
les autres, et flatte son orgueil local en attribuant à son clocher une
suprématie sur tous les clochers voisins, ainsi ceux mêmes d'entre nous qui
prennent sur eux d'enseigner les autres, sont souvent paysans sous ce rapport,
et répugnent à sortir par la pensée, de leur temps et de leur milieu, pour
observer et juger sainement ce qu'ils condamnent d'avance.
La politique est veille comme te monde, et partout comme
dans tous les temps, ses moyens ont été conformes à ses besoins.
Renouvelées des formes gouvernementales des anciens Celtes
autochtones, de la primitive Église, et avant celle du néo-celticisme d'Odin
qui détermina le système féodal des Goths, les institutions représentatives
semblent s'adapter aussi bien à la République qu'à la Monarchie.
Cependant elles ne tempèrent ces gouvernements qu’en les paralysant
à la fois dans leurs principes, dans leurs moyens et en éloignant sans cesse
leurs fins.
En effet, la volonté démagogique ne peut pas être
représentée sans être absente des deux pouvoirs législatif et exécutif.
De même, l'énergie du despote ne peut pas se déléguer,
sans se reléguer derrière un parlement ou une cour de justice.
Dans le premier cas, il n'y a plus de République pure,
puisque l'oligarchie représentative, et non le peuple seul, légifère et
gouverne, nomme les-magistrats, et limite la liberté de tous et de chacun.
Dans le second cas, il n'y a plus de Monarchie pure,
puisque l'oligarchie représentative, et non le monarque seul, légifère, partage
le gouvernement, et soit sous la poussée de sa propre ambition, soit sous celle
des factions, peut frapper de la loi et de la mort le roi lui-même, dépouillé
de l'usage exclusif du moyen et de la garantie de sa fonction.
Dans les Monarchies bâtardes, ou représentatives, ces
deux forces, la volonté du démagogue, l'énergie du monarque, se combattent
perpétuellement d'une manière latente ou déclarée.
Et dans les Républiques bâtardes, ou constitutionnelles,
le duel se passe entre la démagogie et l'oligarchie représentative mais le dualisme
y est toujours déclaré.
Il faut, de deux choses l'une, que le roi et l'oligarchie
représentative, dans la Monarchie constitutionnelle, l'oligarchie et sa tête,
si elle en a une, président, stathouder, protecteur, dans la République
bâtarde, puissent, si la situation géographique de leur pays s'y prête, lâcher
leur démagogie sur des colonies maritimes ou la lancer dans des conquêtes
militaires.
Dans le premier cas, la République comme la Monarchie
tentent à l'Emporocratie, c'est-à-dire à la prédominance des intérêts
économiques considérés comme mobiles de gouvernement.
Dans le second cas, la République comme la Monarchie
inclinent vers l'Empire, si la conquête militaire des peuples étrangers dure,
et se change par conséquent en domination politique.
Tyr, Carthage, Venise, Gênes, Milan, Florence, Espagne,
Portugal, Hollande, Angleterre furent emporocratiques, quelles que fussent
d'ailleurs les bases républicaines ou monarchiques de ces puissances.
Rome, et après elle la plupart des puissances
continentales qui dictèrent dans l'Europe chrétienne les traités généraux,
après avoir fondé les unités nationales, tendirent également à l'Empire. Angleterre
pendant la guerre de Cent ans. Espagne et France pendant la guerre d'Italie.
Espagne, France, Autriche, Suède pendant la guerre de Trente ans. France soi-disant
républicaine pendant les guerres de la Révolution.
Dans l'Emporocratie comme dans l'Empire, le problème
politique de l'alliance impossible des deux principes de la Monarchie et de la
République, ou de l'oligarchie constitutionnelle et de la volonté populaire,
est ajourné mais non résolu, jusqu'au moment où les colonies échappent à
l'Emporocratie, les conquêtes à l'Empire, et où le gouvernement est réduit au
dualisme de sa vie intérieure, sans pouvoir bénéficier d'une diversion donnant
au dehors un libre exercice aux volontés, une satisfaction aux énergies.
Nous avons assez défini, pour le moment, les termes de
Théocratie, de Monarchie, de République, ainsi que les institutions
représentatives et l'Emporocratie. Il ne nous reste plus qu'à définir l'Empire.
L’Empire
Son caractère monarchique spécial est de dominer à la
fois plusieurs gouvernements, républiques ou royautés, plusieurs peuples et
plusieurs races.
C'est ainsi que Walmik, le poète épique indien, nous
représente Ram comme se servant de la forme politique impériale, afin de
réaliser par la suite sa Théocratie.
C'est ainsi également qu'Homère, dans une mesure beaucoup
plus restreinte, nous représente son Agamemnon comme l'empereur de tous les
rois et de tous les peuples de la Grèce.
C'est ainsi, enfin, qu'Alexandre, Jules César,
Charlemagne, Charles Quint et Napoléon régnèrent sur les peuples, sur les races
qu'ils conquirent et sur les gouvernements qu’ils soumirent.
C'est ainsi qu'aujourd'hui, le gouvernement
emporocratique d'Angleterre règne impérialement sur plusieurs races et sur
plusieurs États d'Europe, d'Amérique, d'Asie, d'Afrique et d'Océanie.
Comme on le voit par ce qui précède, l'Empire réel se
prête, comme l'Emporocratie et les institutions constitutionnelles, à des formes
politiques extrêmement variées car ayant à régir des dominations et des races
multiples, il ne les unit sous son pouvoir qu'à la condition, soit d'en
respecter jusqu'à un certain point les institutions propres, soit de déployer une
force militaire qui exclut les bénéfices que l'État impérial a droit d'attendre
de ses colonies.
Dans l'Europe actuelle, les autres gouvernements qui
portent le titre d'Empire, le font d'une manière pour ainsi dire honorifique,
mais sans caractère impérial réel, à l'exception de la Sublime-Porte et de
l'Empire de Russie.
Toutes les formes de gouvernement que nous venons de
caractériser se rapportent à l'une des trois grandes divisions de la vie
sociale : Religion, Politique, Économie.
A la Religion se rapporte la Théocratie, A la Politique
correspondent la République et la Monarchie pures ou mixtes, à l'Économie
répond enfin l'Emporocratie.
Dans les annales du genre humain, c'est la Théocratie
pure qui apparait le plus rarement, parce qu'elle exige de la part de son fondateur,
un génie, une sagesse, une science exceptionnels, des circonstances favorables
très peu communes, et des peuples assez éclairés pour la supporter.
La longévité de gouvernements théocratiques est extrême. L'Égypte,
les Indes, la Chine de Fo-Hi, le peuple d’Israël même malgré la lourde charge
que lui fit porter à travers les siècles Moïse, en faisant des Hébreux les
gardiens des sciences secrètes de l'antique unité. Tous ces gouvernements
vécurent plusieurs milliers d'années et donnèrent au monde tous les
enseignements qui sont aujourd'hui le patrimoine commun de la civilisation.
(Ces peuples ne furent pas des théocraties,
mais des royaumes.)
Quoiqu’ayant dans l'histoire une longévité moins longue,
les Royautés et les Empires durent plus longtemps que les Républiques qui dépassent
rarement quelques siècles.
Cette différence dans la durée des États tient au plus ou
moins de force que renferme leur principe de vie.
(Les républiques durent mois temps parce
que c’est plus facile de les détruire.)
La sagesse et la science n'ont véritablement part au
gouvernement des sociétés que dans la Théocratie seule.
(Non, c’est dans les démocraties.)
Dans la Monarchie, l'énergie intellectuelle et morale du
fondateur laisse toujours son œuvre livrée a tous les hasards, lorsqu'il n'est
plus là pour la diriger elle est à la merci de la faiblesse et de l'imbécillité
des successeurs ; et par suite, des factions et de la rentrée en scène du
principe républicain.
Dans la République, le principe de vie est plus faible
encore, bien que la volonté populaire, si bruyante et si mouvementée, puisse
donner l'illusion de la force.
Le caractère de cette volonté est de se diviser
incessamment contre elle-même, d'engendrer factions sur factions et de mettre
sans cesse l'État en péril.
Aussi tout l'art des législateurs d'Athènes, de Rome, de
Carthage et de Tyr consista-t-il, pour donner à leur œuvre quelques siècles de vie,
à la doter, à l'entourer d'institutions empruntées à d'autres régimes que la République,
et dont la grandeur suppléât pour un temps à l'incurable médiocrité politique
des masses.
_ _ _
Nos lecteurs peuvent maintenant juger l'importance de l'œuvre
poursuivie par M. de Saint-Yves. L'ignorance du gros public et même du public
intellectuel touchant les Missions et
leur auteur, prouve assez la modestie de ce dernier et montre qu'il n'a pas
cherché dans la réclame une passagère confirmation de son autorité.
C'est donc un devoir de justice que nous pensons remplir
en faisant connaître de notre mieux un savant véritable, poursuivant
laborieusement ses recherches et qui sera le premier étonné de voir ses travaux
analysés et patronnés dans une publication.
On sait maintenant le parti qu'on peut tirer de la
synarchie. Nous verrons dans la suite comment tes chercheurs contemporains,
suivant la voie indiquée par M. de Sainte-Yves, ont pu annoncer la réaction
démagogique dont les premiers effets se font actuellement-sentir sous le nom
d'anarchie.
Les continuateurs de la Synarchie
A la suite des travaux de Saint-Yves sur la Synarchie, un
groupe de chercheurs a résolument poursuivi la voie tracée par le maître, et après
quatre années d'efforts les résultats obtenus sont assez importants pour qu'on
puisse en livrer les premières conclusions au public.
Rappelons encore une fois qu'il s'agit là de recherches
d'un caractère tout scientifique, que le premier but à atteindre est d'établir
une anatomie sociale positive, puis de passer de là à la physiologie sociale et
enfin d'aborder la psychologie sociale.
Ce travail demandait donc tout d'abord une analyse
sérieuse des organes de la société, puis une synthèse des fonctions créées par
ces organes ; enfin la recherche des lois générales présidant à ces
fonctions.
Tout cela explique le temps nécessaire à une telle étude qui
a été poursuivie par MM. F.-Ch. Barlet, Julien Lejay et votre serviteur, et qui
ne sera terminée que dans quelques années.
Les anciens Égyptiens prétendaient posséder la loi
d'organisation et de fonctionnement des sociétés. Ils l'ont prouvé en envoyant
leurs initiés, Orphée, Lycurgue, Solon, Pythagore organiser la Grèce ou ses
colonies. De même Moïse a tiré d'Égypte l'organisation du peuple juif,
organisation telle qu'elle a permis à l'esprit de race de résister à tout à
travers les plus épouvantables cataclysmes.
Aujourd'hui les assoiffés de réformes sociales réclament
presque tous, soit une humanité nouvelle pour appliquer leurs projets, soit une
destruction totale des rouages sociaux actuellement existants. Ils sont
d'accord pour détruire, mais lorsqu'il s'agit d'édifier ça tâtonne, on prononce
de grandes phrases creuses.
Le problème à résoudre ne consiste pas à tuer le malade
pour élever ses enfants d'une façon nouvelle; il consiste à guérir ce malade en
respectant ses organes et en rétablissant la santé sociale, là où la
putréfaction a déjà commencé ses ravages.
Que notre société soit en mauvaise santé, c'est là un
fait que la permanence de nos assises législatives suffirait à prouver.
Plusieurs chercheurs, M. Quœrens avec son article Cachexie Stercorale (Paris, l’Initiation, 1893), entre autres, ont
même voulu caractériser le diagnostic à porter.
Dans une magistrale étude Ventre et Cerveau (Paris, 1894,
Chamuel) Jules Lermina s'est fort bien efforcé de mettre à jour le point de
départ de nos malaises actuels. Tous les efforts faits dans cette voie méritent
donc d'attirer l'attention du philosophe.
Voyons rapidement les grandes lignes des conclusions analytiques
auxquelles arrivent les continuateurs de la Synarchie. Le cadre de cette étude
ne nous permet malheureusement que de résumer rapidement la méthode employée
sans pouvoir aborder les voies de réalisation immédiate et pratique fournies
par cette méthode.
Les constructeurs de systèmes sociaux tirent leurs
déductions ou de leur imagination ou des enseignements de l'histoire, souvent
même de la simple routine. Les chercheurs dont nous nous occupons en ce moment
prétendent n'avoir rien inventé. Ils se sont efforcés de bien étudier les
procédés employés par la Nature dans la construction de tout organisme, et considérant
la société comme un organisme spécial, d'appliquer les lois de la vie à cet
organisme spécial.
Le premier résultat de leurs efforts a été de constater
que tous les systèmes de gouvernement qui fonctionnent répondent strictement à
un organisme végétal ou animal plus ou moins perfectionné.
Encouragés par cette première preuve de la réalité de
leurs recherches, ils ont analysé l'organisme humain et se sont efforcés
d'appliquer à la société les lois générales en action dans cet organisme
humain. Nous ne reviendrons pas sur les trois divisions générales :
- Ventre social ou Économie politique
- Poitrine sociale ou Pouvoir
- Tête sociale ou Autorité
qui constituent la base de toutes ces études et que nous
allons toujours retrouver.
Voici tout d'abord les grandes divisions établies dans
cette étude par F.-Ch. Barlet. (Pour détails voir son livre Principes de Sociologie Synthétiques,
Paris, Chamuel, 1894)
« La société est un être vivant composé d'être
volontaires et responsables. Elle est sujette aux lois biologiques mais sa
volonté est plus maîtresse du fonctionnement physiologique que ne l'est l'être
humain, elle a la faculté de disposer même des organes sous sa responsabilité. »
(Note de Papus : On sait que chez l'homme la marche
du système de la vie organique : cœur et circulation, foie et digestion,
grand sympathique et innervation, échappent à l’influence de la volonté.)
Son étude est donc cette de toute biologie.
ANATOMIE
|
PHYSIOLOGIE |
BIOLOGIE GÉNÉRALE
(Histoire et philosophie de l’histoire.) |
|
Considéré isolement
|
Considéré dans son milieu
|
||
Pour mieux faire comprendre ces divisions, nous allons
donner quelques extraits concernant l'anatomie, la physiologie et même là
pathologie sociales. Nous indiquons ainsi clairement le caractère de ces
études.
Anatomie
Tout groupe social comprend donc:
1.
Des individus (ses éléments
constituants) : le corps.
2.
Une unité qui fait de
ces éléments un être : l'État.
3.
Des unités intermédiaires :
familles et corporations.
4.
Et un lien entre les
individus et les unités : le Gouvernement, dont la fonction est double.
A.
Satisfaire les individus
en tant qu'individus.
B.
Les plier à l'État en
tant qu'éléments.
Donc réciproquement la fonction des individus est double :
A.
Satisfaire l'État en
tant qu'unité.
B.
Le plier aux besoins de
l'élément individuel.
C'est le système Gouvernement qui est laissé à la liberté
et à la responsabilité humaine (il a cependant des principes fixes qui peuvent
et doivent guider).
Il en est ainsi comme dans le corps humain. Les individus
sont les cellules. L'état est le corps entier, la santé dépend du Gouvernement
que l'âme donne aux individus par l'état, aux cellules par le règlement
hygiénique.
La Société, comme tout organisme supérieur, a Corps, Âme
(spirituelle et intellectuelle), Esprit et Volonté libre pour régler le rapport
de vie de ces trois systèmes ou conduite qui, en sociologie, a nom Gouvernement.
Son esprit ce sont les principes qui la déterminent (l’esprit
public, la conscience publique, selon l'expression vulgaire).
·
Son âme spirituelle,
c'est l’Autorité, la puissance spirituelle.
·
Son âme intellectuelle,
c'est le Pouvoir, ou plus nettement le pouvoir temporel (auquel correspondent
les constitutions a priori).
·
Son corps, ce sont les
groupements sociaux de divers genres (famille, tribu, commune, etc.) qui sont
les organes et les systèmes anatomiques, l'organisme social.
·
L'esprit et l'âme
spirituelle qui appartient au monde abstrait n'ont pas de forme. Au contraire
le pouvoir et les groupes sociaux sont essentiellement formels.
Physiologie
Comment le Gouvernement accomplit-il ses fonctions ?
Comme la volonté.
1.
Il reçoit les
impressions (lesquelles viennent des quatre éléments : individu, famille,
corporation ou de lui-même, de sa propre initiative)
REMONTRANCES ; CAHIER ; PÉTITIONS ; INITIATIVE.
2.
Il délibère d'après la
conscience (grands hommes), ou l'intelligence, ou le sentiment (conquérants),
ou la sensation (tyrans) :
D'OU LES
CONSEILS DIVERS.
3.
Il ordonne :
LOIS, DÉCRETS,
ORDONNANCES, ETC.
4.
Il fait exécuter :
par
exécution active (RÉALISATION PAR ADMINISTRATION),
par
exécution passive (CONTRAINTE),
par
exécution (MAGISTRATURE),
qui décide s’il y a lieu ou non à exécution.
Il doit donc y avoir :
·
Faculté de sensibilité
et organes correspondants.
·
Faculté de délibération et
organes correspondants.
·
Faculté d'ordonnance
(autorité) et organes correspondants.
·
Faculté
d'exécuter(pouvoir) et organes correspondants.
La physiologie normale, la loi suprême du Gouvernement
est :
1.
L'inspiration de
l'autorité par l'esprit,
2.
Consécration du pouvoir
par l'autorité,
3.
Direction du corps par
le pouvoir,
de sorte que le corps exprime l'esprit.
Mais cette voie est un idéal vers lequel la Société
marche en affectant successivement une importance exagérée à l'un des éléments :
c'est ce qui fait l'évolution sociale.
Pathologie
Le trouble est apporté dans la Société :
1° Par l’individualité (la maladie vient de la cellule),
individu isolé ou social.
C'est l'anarchie, la conspiration, l'usurpation etc.
MODIFICATION DU POUVOIR.
2° Par le changement de l’Esprit public (la maladie vient
du moral).
MODIFICATION DE L'AUTORITÉ.
C'est la Révolution.
3° Par une attaque de l'extérieur (la maladie vient du
milieu ambiant). C'est guerre internationale qui sera, selon le groupe, entre
familles, tribus, nations, peuples ou races).
Il est bien entendu que ces notes n'ont pour but que
d'indiquer à l'esprit du lecteur la méthode employée sans rien préjuger des
résultats acquis. Mais cette méthode avait permis à l'auteur dont nous nous
occupons, M. F.-Ch. Barlet, de donner, il y a deux ans déjà, dans une étude sur
l’Évolution de l'Idée (1 vol.-in-18)
des indications bien curieuses sur la période démagogique et de manifestation
anarchique dans laquelle nous entrons.
Voici un extrait de cet ouvrage :
« Telle est la vie
totale, telle aussi la vie de détail, au Sanctuaire, à l'École ou dans le
Peuple, à travers les siècles comme dans les petites périodes qui voient vivre
et mourir un système économique, philosophique ou religieux. Partout vous
verrez au débat un homme ou un groupe d'hommes inspirateur ; avec lui se
forme la période d'enfance, de foi, à laquelle succéderont celle d'analyse et
celle de synthèse finale, sauf les accidents morbides ou mortels (1).
Nous n'avons donc pas à nous préoccuper des fluctuations,
des agitations, même les plus terribles, de l'École ou de la Société, non plus
que du sacrifice de vies individuelles demandé par la vie universelle ; ce
n'est là que l'œuvre du Destin, une seule pensée mérite nos soins : la
réalisation de l’idéal dont l'Involution a produit le mouvement auquel nous
sommes libres d'assentir ou non par l'effort de nos volontés et de
l'intelligence.
Mais comment pouvons-nous réaliser l'idéal ; que
pouvons-nous particulièrement à notre époque pour et par l'évolution de
l'Idée ?
Pour le comprendre, il suffit de considérer quel moment
de l'évolution notre siècle représente. C'est le temps que nous avons vu
particulièrement critique, de l'analyse extrême, de l’extrême division, mitigée
par une tendance à la fédération. Pour la société, c'est l'enfance de la
démocratie, menacée de la maladie démagogique. Pour la pensée publique, c'est
le positivisme matérialiste qui menace de la dissolution par l'épicurisme ou le
scepticisme.
Cependant, nous semblons avoir franchi déjà le point
dangereux de ce cap, car à l'École comme dans le public, nous tendons en toutes
choses vers la synthèse, et c'est en elle qu'est notre salut, avec le but de
mouvement que nous traversons.
Nous n'avons donc à nous effrayer ni des menaces
d'anarchie sociale ni des sombres désespérances du nihilisme ; ce sont les
produits nécessaires de l'obscurité que le destin nous condamne à traverser,
souterrains qui nous conduisent, si nous savons les parcourir, aux splendeurs
d'une science et d'une organisation sociale inconnues depuis de longs siècles.
Tous nos efforts doivent être portés sur la concentration
de nos forces de tous genres ; hors de l'École par l’altruisme ou
fraternité, qui consiste pour chacun dans l'oubli de son individualité au
profit de l'Universalité ; à l'École, par la synthèse de toutes nos
connaissances, l'achèvement dans la région des Principes de l'édifice que nous
avons commencé d'asseoir sur la base du positivisme, et pour lequel nous avons
amassé un trésor inappréciable de matériaux.
Et comme, selon la belle expression de Charlemagne,
« s’il est mieux de bien faire que
de savoir, il faut cependant savoir avant que de faire », en dernière
analyse, c'est l'Idée qui mène le monde, il n'est rien qui demande plus
d'attention, plus d'efforts de notre part que l'organe social de l'Idée,
l'École. Là nous avons à reconstruire, à ressusciter par nos efforts, à ramener
vers son foyer d'origine l'unité occultée maintenant, descendue, disséminée dans
les ombres du monde sensible.
Là, comme dans le monde, la première condition de ce
mouvement laborieux et grandiose, c'est l'oubli de l'individualité pour l'Unité ;
par lui seul peuvent se réaliser les deux conditions premières de la science
synthétique : l'Union des trois Principes dans la pensée, afin d'éviter
l'écueil mortel de la spécialisation, et l'organisation hiérarchique de toutes
les forces de l'École, afin que la division du travail seconde la synthèse par
la concentration harmonieuse des volontés. »
(F.-Ch. Barlet, L'Évolution
de l’Idée, p.160-162.)
(1) Le philosophe V. Cousin n'a pu manquer de signaler
ces phénomènes : « Partout, dit-il, ou règne une grande religion, la
base d'une philosophie est posée… ne nous lassons point de le répéter, la
religion est le fond de toute civilisation ; c'est la religion qui fait
les croyances générales... elle contient aussi la philosophie… la religion
paraît seule d'abord ; puis de la religion sort la théologie, et de la
théologie sort finalement la philosophie, etc. » (Histoire Générale de la Philosophie, p. 35 et 43.)
C'est à cause de cette division à l'extrême, de cette
période d'anarchie morale autant que physique que nous avons à traverser que
les chercheurs qui se sont occupés de sociologie n'ont voulu aborder que
l'économie politique, c'est-à-dire l'étude du ventre, de la partie la plus
matérielle de la société.
M. Julien Lejay a fort bien mis au jour ces tendances
dans quelques articles remarquables dont nous donnons ici un extrait. Le
lecteur y trouvera indiquées les lois réelles qui conduisent à leur insu la
plupart des grands « réformateurs » contemporains.
L'économie politique et la méthode synthétique
« Le caractère
dominant de tous les penseurs qui s'occupent, soit d'économie politique, soit
de sociologie, c'est de vouloir se rattacher exclusivement à un principe
d'action en niant à priori toute valeur aux recherches de ceux lui se placent à
un autre point de vue qu'eux-mêmes.
Or le maniement de l'analogie permet de considérer
synthétiquement les efforts de tous ceux qui ont abordé la question, et par
suite, de découvrir l'état exact d'évolution des esprits, état tel que chacun
de ces réformateurs exclusivistes, croyant transformer son époque, ne fait en
somme que traduire passivement les aspirations actuelles de cette époque.
Le premier devoir du synthétiste est donc de rechercher
la loi générale qui a guidé et qui guide encore dans leurs recherches et dans
leurs conclusions les économistes et les écrivains socialistes de toute époque
et de partir de cette loi générale pour traiter largement la question.
L'homme individuel est incité par trois sortes
d'aspirations : les aspirations sensuelles, les aspirations passionnelles
et les aspirations intellectuelles. Et c'est en partageant équitablement ses
forces entre ces trois incitations qu'il réalise la santé physique et morale.
L'homme qui s'abandonne tout entier aux plaisirs sensuels
ne tarde pas à voir diminuer ses facultés intellectuelles, puis à tomber malade
s'il continue. L'excès contraire, le travail excessif et exclusif des facultés
intellectuelles produit des résultats analogues. C'est dans l'équilibre que se
trouve la véritable solution du problème.
Or l'homme collectif, la société, ont les mêmes lois de
santé et de maladie que l'homme individuel, analogiquement parlant, et il est
curieux de constater que tous les systèmes de réforme sociale proposés sont
exclusifs, et tendent à subordonner tout à la satisfaction d'une seule des
aspirations de la société.
Je pourrais vous montrer comment il existe une sociologie
spiritualiste où tout est subordonné au bonheur de l'aristocratie, une sociologie
rationaliste où tout est au contraire subordonné au bonheur de la bourgeoisie,
enfin une sociologie sensualiste où le peuple doit écraser toutes les autres
classes et être satisfait à leurs dépens. Et chaque système prétend s'imposer
seul, oubliant qu'il n’existe pas d'homme composé seulement d'une tête, seulement
d'un thorax, et seulement d'un ventre, et que c'est au contraire, par un
échange équilibré entre les fonctions du cerveau, du cœur et de l'estomac que
l'être humain subsiste.
Mais bien-mieux, dans chacun de ces systèmes
sociologiques exclusifs, des subdivisions existent qui donnent naissance à des
écoles diverses suivant que la morale, la politique ou l'économie sont
considérées comme plus importantes à pratiquer, toujours exclusivement.
Ainsi, à l'heure actuelle, on en est à l'économie après
avoir passé par les autres phases, et l'économie politique est considérée comme
seule digne d'intérêt. Laissez-moi donc insister un peu sur ce point et
considérons ensemble les conclusions que chaque sectarisme pose suivant la
façon, dont il considère l'économie politique, abdomen de la société.
Ce n'était pas assez de vouloir inventer les êtres
humains composés uniquement d'un ventre en subordonnant tout à l'économie, on a
été plus loin et l'on a voulu subordonner tous les organes à l'un d'eux, de
telle sorte que chaque école d'économistes prétend qu’un seul organe doit tout
faire et que les autres ne servent à rien en supposant même qu'ils existent.
Nous trouvons, en effet, une économie politique
spiritualiste, une autre rationaliste, une autre sensualiste, et chacune
prétend posséder exclusivement la Vérité. Naturellement. Voyons un peu les
détails. La Richesse émane de l'État, l'État est le créateur de la Richesse, la
valeur réside dans l'abstraction, c'est-à-dire dans la Monnaie. Toutes les
fonctions économiques doivent donc être subordonnées à l'État, créateur de la
monnaie.
Voilà ce que disaient les partisans de l'économie politique
spiritualiste dont Law a été un des plus fameux représentants.
Vous vous trompez, la Richesse émane du Travail, l'homme
est le créateur de la Richesse, la valeur réside dans le Travail, c'est-à-dire
dans l'homme, disent les économistes rationalistes dont Adam Smith, Say, Simon
ont été et sont les brillants représentants.
Quelle erreur est la vôtre, clament à leur tour les
économistes sensualistes, la Richesse émane de la Nature, la valeur réside dans
les produits de la Nature et non autre part. De là l'idée de l'impôt unique sur
la propriété foncière, de là toutes les théories des Agrariens et le succès
colossal d'Henry Georges qui a formulé merveilleusement leurs aspirations.
Et, ce qu'il y a de remarquable, c'est qu'à l'avenement de
chaque école et d'économistes au pouvoir, les écoles futures se manifestaient
déjà, mais sous forme de protestations: C'est ainsi que Turgot et les
physiocrates soutenaient il y a longtemps que la Richesse émane de la Nature (à
l'époque des économistes spiritualistes), tandis que les communistes de 1848,
Babeuf, Fourier, Cabet, etc., soutenaient une thèse analogue en opposition des
économistes rationalistes.
Vous me demanderez que fait le synthétiste, l'occultiste
d'action, en présence de cette multitude de systèmes certains ?
Il cherche à grouper ces divers principes pour en constituer
un organisme social composé d'une tête, d'un thorax et d'un abdomen comme
l'homme lui-même. Et dans le cas actuel puisqu'il s'agit d'économie politique,
le synthétiste s'efforce de préciser le rôle de chacun des organes abdominaux
de la société, représentés chacun par une école spéciale.
Synthétiquement donc tout est vrai ; il suffit
d'approfondir la question et surtout d'éviter l'éclectisme, la plus grande des
erreurs possibles. Dans l'abdomen de l'homme il y a quelque chose qui supporte
tout ce que le ventre renferme, c'est la matière organique constituant toutes
les cellules. Mais ces cellules cesseraient vite leur fonction et mourraient si
une autre chose, le sang, et surtout l'oxygène qu'il apporte ne venait pas les animer.
Enfin ces cellules auraient beau vivre que rien ne se produirait si une autre
chose encore, l'incitation nerveuse, ne venait mettre tout cela en mouvement.
Et ces trois principes d'action : la matière
première, la force animatrice et la force motrice, sont tellement liés et
tellement nécessaires l'un à l'autre qu'on ne peut les concevoir agissant
séparément.
Dans l'abdomen social (économie politique) la matière
première produite par la Nature supporte tout et forme la base sur laquelle
s'appuient les autres actions ; mais le Travail produit par l'homme vient
donner la valeur a cette matière première, et enfin la Spéculation dont est
l'objet cette valeur vient donner la plus-value et le mouvement aux autres
principes.
C'est de la réaction harmonique de ces trois principes :
Spéculation, Travail et Réalisation physique que résulte la santé de l'abdomen
social. C'est à l'étude de ces lois et de leurs analogues dans la politique et
dans la morale (thorax et tête de la Société) que je travaille depuis déjà plusieurs
années.
Je me suis efforcé de vous faire comprendre ma méthode,
ainsi que quelques unes des conclusions déjà obtenues.
Peut-être trouvera-t-on après tout que ces idées sont
trop simples pour être vraies, peut-être me considérera-t-on comme un bon rêveur
pas méchant ; que m'importe. L'étude de la Science occulte m'a conduit à
chercher en tout le point de vue synthétique ; j'ai voulu appliquer ce
principe à l'étude de la Sociologie. Quand je me sentirai prêt, je publierai un
ouvrage résumant mes travaux et exposant ces idées avec tous les détails
nécessaires.
Et après ?
Après je serai sans doute aussi heureux que l'abeille qui
vient déposer dans la ruche le produit de sa longue visite aux fleurs de la
prairie ; j'aurai fait ce que je considère comme mon devoir et là est une
grande satisfaction, et ce sentiment du devoir accompli ne constitue-t-il pas
seul une suffisante récompense ? »
(J. Lejay, L’Économie
Politique el la Méthode Synthétique.)
Ainsi voilà le bilan des efforts tentes par un groupe de
chercheurs qui n'ont pas désespéré de l'avenir, et qui dédaignant les satisfactions
trompeuses de la politique se sont adressés à la science pour rechercher les
causes de la maladie sociale qui exerce actuellement ses ravages dans la
plupart des nations d'Europe.
Quelle est, par contre, la conduite des gouvernants au
pouvoir dans ces nations ?
C'est ce qu'il nous faut maintenant examiner de notre
mieux.
Indolence et anarchie
Les anciens demandaient à leurs gouvernants de sérieuses
garanties intellectuelles et surtout morales. De plus, les méthodes appliquées
à la direction des sociétés partaient de ce principe que les principes étaient
tout et que les individus n'étaient rien.
Que dirait-on en effet des voyageurs qui au moment de se
mettre en route, procéderaient par élection au choix du mécanicien chargé de
conduire la locomotive et choisiraient à cet effet le plus brillant
parleur ?
On nous accusera de forcer notre comparaison, mais
n'est-ce pas un peu ce qui se passe dans la vie publique de la plupart de nos
sociétés ?
L'analyse à l'excès et l'individualisme triomphent
partout; les intérêts personnels priment tout et notre société marche
positivement la tête en bas et le ventre en l'air. La faute n'en est aucunement
à ses gouvernants remplis évidemment d'excellentes intentions, dont le
patriotisme est au-dessus de tout soupçon, mais qui sont les prisonniers d'un
état de malaises politiques dont ils sont eux-mêmes les premières victimes.
L'instruction analytique qui leur a été donnée, l'admiration
qu'on leur a inculquée pour la Révolution, l'habitude de manier les électeurs
avec de bâties paroles et les députés avec de grandes promesses, tout cela
détermine chez les hommes de gouvernement un état d'esprit caractérisé par la
prédominance de l'immédiat sur le futur, des petites compromissions pour éviter
les grandes audaces et enfin de l'indolence pour tout ce qui est général et
synthétique par amour pour tout ce qui est particulier et analytique.
De plus, l'instabilité ministérielle et le peu d'autorité
des ministres sur les bureaux tendent à détruire (surtout en France) cette
unité de politique extérieure, cette conception large de t'avenir bravant au
besoin l'impopularité pour le présent qui, seules, constituent les nations
véritablement fortes.
C'est là la grande force de l'Angleterre pour les
gouvernants de qui la politique extérieure n'implique aucune divergence de vues,
quel que soit le parti au pouvoir. C'est là aussi la force principale de la
Russie, dont le légendaire testament de pierre le Grand fixe l'avenir et le but
à atteindre. Seuls les pays où l'unité de gouvernement dure encore par
l'existence simultanée du pouvoir et de l'autorité entre les mains d'un seul
peuvent se préserver des poussées démagogiques. Telle est la Russie, et tel est
un peuple auquel on ne prête pas une assez grande attention, qu'on connaît très
mal et qu'on juge faussement : la Turquie.
(Tous les pais que Papus a admiré :
Chine, Angleterre, Russie, Turquie, se sont effondrés quelques années après.)
On n'a pas suivi d'assez près les efforts prodigieux
tentés et menés à bien en quelques années par un souverain opiniâtre et
travailleur et qui a fort bien senti l'avenir, possible réservé à un peuple que
tout te monde croit moribond.
Délaissant le culte exclusif de la force, sur lequel
s'étaient concentrés les efforts de tous ses prédécesseurs, Abdul Hamid II a
résolu de développer, au maximum, toutes les sources d'intellectualité latentes
dans les nouvelles générations. Il a fondé à cet effet plus de dix-neuf
facultés et écoles supérieures à Constantinople en quelques années, et toutes
pourvues de professeurs éminents et d'élèves, et alors que les autres
gouvernements se laissent entraîner par le culte de la Matière, la Turquie
attend son avenir seulement du triomphe de l'Idée.
L'indolence et l'étroitesse de vue sont, en effet, les
caractères de nos éphémères gouvernements.
On évite, de parti pris, l'étude approfondie de
l'organisme social, on s'en tient à l'extérieur, aux habits, et on laisse la
vermine envahir le corps, caché sous le velours et la soie. Quand les parasites
apparaissent à l'extérieur, on les tue un à un, mais sans remonter à la cause
du mal.
Gouverner, c'est prévoir, c'est-à-dire c'est faire de l'hygiène
sociale. L'indolence engendre la saleté, la saleté permet le développement des
parasites à l'extérieur et des microbes à l'intérieur. L'anarchiste est le
microbe de la société, c'est la cellule qui ne reçoit plus l'influx vital
nécessaire des centres, et qui se faisant, centre à son tour, détruit pour le
plaisir de détruire et parce que la destruction est sa seule raison d'être.
Ptomaïnes et dynamite sont analogues.
Or, ainsi que l'a si bien déterminé F.-Ch. Barlet, nous
sommes arrivés au point ultime de l'involution de l'idée, du culte de la
matière, l'or-dieu, le matérialisme, le sensualisme, le culte du souteneur au
café-concert et du chantage dans une certaine presse, tout cela est connexe et
conduit fatalement au même résultat: la décomposition putride dans un individu
ou l'anarchie dans une société.
La rigueur et les lois d'exception ne sont que de
passagers palliatifs; la foi dans le travail et dans la science sont les seuls
véritables remèdes. Il faut résolument revenir à l'étude de l'idée si l'on veut
détruire la cause de tout le malaise matériel, et il faut commencer les
réformes par le ventre, par l'économie sociale mais en respectant les rouages
existants et non pas en voulant les détruire par la masse ignorante comme
beaucoup de socialistes ou par la dynamite comme les anarchistes.
L'électorat groupé sur les intérêts corporatifs et non
plus sur la politique, l'autonomie de la Magistrature et de l'Université,
l'héritage des outils et des usines par les syndicats ouvriers sous certaines
garanties, l'impôt unique sur les héritages en ligne collatérale, le service de
chaque citoyen, pendant un certain nombre d'années et dans sa profession pour l'État
en échange de la garantie du vivre, du logement et de l'habillement de
l'individu de la part de l'État ; tout cela sont des moyens de transition
que nous croyons pratiques et qui méritent une attention sérieuse de la part de
ceux qui préfèrent l'immédiat à l'universel.
Le philosophe curieux de constater la vitalité réelle de
l'organisation synarchique et de ses dérivés, pourra également étudier la
constitution et le fonctionnement de l'Empire chinois qui conserve ses
gouvernements pendant plusieurs centaines d'années, qui a une armée de 300,000
hommes à peine pour en garder 400 millions et qui nous traite « de
sauvages et de barbares ».
Un haut fonctionnaire chinois envoyé en Europe pour
étudier notre organisation sociale disait :
« Eh quoi, vous n'avez donc pas encore de véritables lois
puisque vous êtes toujours occupés à en faire de nouvelles. En Chine voilà
plusieurs centaines d'années que nous n'avons pas eu à nous intéresser à de
pareilles futilités*. »
(* Voyez à ce propos les remarquables travaux d’Eugène
Simon : La Cité chinoise ; la
Cité française.)
~ * ~
Que le lecteur nous pardonne la longueur de ces digressions, nous croyons
faire œuvre utile en appelant l'attention de tous sur une question capitale
entre toutes et nous avons la certitude que l'avenir viendra prouver que nos
efforts, aussi humbles soient-ils, n'ont pas été entièrement vains.
OBSERVATION
Personnellement je considère qu'il est vain de discuter sur quel est le
meilleur système politique et économique, parce que tous les régimes se
corrompent de plus en plus avec le temps. Et c'est pour cette raison que si
vous voulez vraiment améliorer la société, vous ne devez pas travailler pour
instaurer un système particulier, mais développer chez les gens la notion de
respect à la nature et aux autres, car c'est dans l'égoïsme où se trouve le
vrai problème qui détruit les sociétés, et quand les humains vivront enfin en
fraternité alors le monde deviendra un paradis et les systèmes n'auront plus
d'importance parce que la plupart d'entre eux pourront fonctionner
harmonieusement.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire