Dans cet
article Blavatsky fait un éclaircissement de ce que représentent certains
symboles mentionnés dans le Livre des morts des
Anciens Égyptiens, et en particulier dans la région où vont les âmes vertueuses
après leur mort, c’est-à-dire au paradis, connu comme les Champs-Élysées dans la mythologie grecque,
et les Champs d’Aanrou dans la mythologie égyptienne.
Dans la
publication N°14 de la revue théosophique française Le Lotus (mai 1888, p.105) se trouve un article
de Franz Lambert 1 contenant le passage suivant qu’est
une transcription d’une tablette que représente l’arrivée du défunt au monde
des dieux:
« On y
voit le défunt labourant les Champs-Élysées, les semant et récoltant. Le
froment y a 7 aunes de hauteur, les épis en ont 3 et la paille 4. Sur la
moisson il prélève une offrande pour Hapi, le dieu de l’abondance, etc. »
Cependant il y
a des erreurs dans cette transcription, car dans le Livre des Morts, chapitre
CIX, versets 4 et 5, le défunt s’exprime ainsi:
« Je
connais ce champ d’Aanrou à enceinte de fer, dont le froment a sept coudées de
hauteur: son épi a trois coudées, sa tige en a quatre, etc.2 »
Les champs d’Aanrou représentés dans
le papyrus d'Ani
Et Hapi ici n’est
pas le dieu de l’abondance, parce que lorsqu’on le trouve dans une cérémonie où
la momie joue le rôle principal, Hapi c’est un des Génies funéraires. Hapi
personnifie l’eau terrestre ou le Nil dans son rôle primordial, comme Noun
personnifie l’eau céleste. C’est un des «Sept Lumineux» (c’est-à-dire les Sept Esprits planétaires) qui accompagnent Osiris-Soleil.
Au chapitre
XVII du Livre des Morts il est dit:
« Les Sept
Lumineux, ce sont Amset, Hapi, Tiaumautef, Kebhsennouf, Maa-tef-f, Ker-bek-f, et
Har-khent-an-mer-ti. Anubis les a placés en protecteurs du sarcophage d’Osiris
[le Soleil pendant l’éclipse et la nuit]. »
(Versets 38 et
39)
Les sept Lumineux dans le papyrus d'Ani
Donc Hapi,
comme Amset qui le précède, est un génie psychopompe 3 (Mercure), qui
reçoit sept dons d’Osiris-Soleil, peut-être bien parce que Mercure reçoit sept
fois plus de lumière du Soleil que la Terre.
Et dans la
hiérarchie céleste des Archanges de la présence, ou «les Sept yeux du
Seigneur». Hapi et Amset correspondent à Gabriel, le Messager, et à Michel, le
patron de tous les golfes et promontoires, qui tous deux personnifient l’eau
terrestre ainsi que Hapi.
Cependant quelques-uns
de nos pieux amis catholiques s’écrieront ici, et ils diront que Gabriel et
Michel ne sont pas des dieux psychopompes (qui conduisent les morts) puisque
Michel est l’Archistrategus, le
général en chef de l’armée du Seigneur, et le Victor diaboli, le Vainqueur du Dragon-Satan ; tandis que
Gabriel est le Fortitudo Dei (la forteresse
de Dieu) et son Messager.
Ce qui est
vrai, et j’ajouterai même que Michel est le Quis
ut Deus (semblable à Dieu) si cela leur fait plaisir. Mais cela n’empêche
pas qu’ils sont tous les deux notre Hapi et notre Amset égyptiens à tour de
rôle. Car cet Hapi, cet «œil du soleil», sa flamme, est le chef «des divins
chefs», qui avec six autres accompagne Osiris-Soleil «pour brûler les âmes de
ses ennemis» 4 et qui tue le grand ennemi, l’ombre de
Typhon-Set, autrement dit le Dragon.
L’Église catholique
appelle ce septénaire le gardien vigilant (Φυλαχιτης en grec) parce que c’est
précisément son nom dans le Livre des Morts, les «Sept Lumineux» étant les
gardiens du sarcophage d’Osiris. Voyez plutôt le marquis de Mirville qui s’en
vante dans son Mémoire à l’Académie.
Mais il ne
s’agit pas précisément ici d’Amset ou d’Hapi, et nous pouvons laisser un
instant Gabriel et Michel sur leurs planètes respectives. Ce dont il est
question, c’est des notes intéressantes de Charles Barlet.
Il attire
l’attention du lecteur sur «les innombrables concordances» que présente le
susdit article avec les doctrines des théosophes. Il donne quelques exemples,
mais il en laisse passer un des plus remarquables. Je veux parler des versets
cités du Livre des Morts, concernant le défunt au champ d’Aanrou.
Ce chapitre est
la plus éclatante corroboration des sept principes de l’homme que l’on puisse
trouver dans la religion ésotérique de la vieille Égypte.
Toutefois le
lecteur est prévenu de ne pas chercher ces analogies ou concordances entre les
deux systèmes ésotérique et exotérique dans les traductions de nos
orientalistes, car ces Messieurs ont pour habitude de mettre plus de fantaisie
que de vérité dans leurs interprétations.
Donc adressons-nous
plutôt à la cabbale, et là le système septénaire nous offre la table suivante:
Les sept mondes ou plans du kosmos
visible
Le reste est
inutile pour le moment les mentionner, et c’est pourquoi je ne donne que les trois
premiers mondes avec leurs anges et leurs planètes correspondant aux sept
lettres divines.
Les noms des anges,
à part les deux premiers, sont des substituts; ils s’interchangent d’ailleurs
entre eux et avec les planètes. Il n’y a que Gabriel qui soit resté fidèle à
son Mercure, bien que, pour des raisons fort connues 5, l’Église
donne aujourd’hui à Gabriel, Jupiter pour planète.
Michel balance
entre le Soleil et la Lune, mais comme ces deux planètes étaient, dans
l’ésotérisme égyptien, les yeux du Seigneur (le Soleil étant l’œil d’Osiris
pendant le jour, et la Lune, l’œil d’Osiris pendant la nuit) elles sont interchangeables.
Et partant de
là, il sera facile de comprendre le reste. Le champ d’Aanrou est le Devachan.
Le froment semé et récolté par le défunt et qui a sept coudées de hauteur
représente le karma semé et récolté par les sept principes du mort durant sa
vie. L’épi qui a trois coudées est la trinité supérieure (Atma, Buddhi et l’arôme
de Manas), ou le triangle supérieur. 6
Les quatre
coudées (la tige ou la paille), sont les quatre principes inférieurs (kama
rupa, le corps astral, le principe vital, et l’homme vital), représentés par le
carré.
Or, l’homme a
toujours été figuré dans les symboles géométriques, ainsi :
Et en Égypte
c’était le tau symbolique, la croix ansée :
Ceci est la
représentation de l’homme. Le cercle ou l’anse qui surmonte le tau est une tête
humaine. C’est l’homme crucifié dans l’espace de Platon, ou le Wittoba des
Indous (voir: Le panthéon Hindu de Moor).
En hébreu le
mot homme se rend par Anosh, et comme le dit Seyffarth :
« Ce signe représente,
je crois, le crâne avec le cerveau, siège de l’âme, et les nerfs s’étendant
vers l’épine dorsale, le dos, les yeux ou les oreilles. En effet, la pierre
Tanis le traduit constamment par anthropos
(homme), et ce mot écrit alphabétiquement en égyptien est ank.
En copte c’est
également ank, vita, ou mieux anima, ce qui correspond à l’anosh שונא des Hébreux, signifiant précisément anima. Le mot שונא est le primitif דונא pour יבנא (le pronom personnel «je»). Le mot Anki en égyptien
se traduit par: mon âme. »
Il est
intéressant que Seyffarth traduit numériquement 7 Anosh, cet
équivalent hébreu pour l’homme, par 365—1, ce qui pourrait signifier 365+1=366,
ou bien 365-1=364, ou les phases des temps de l’année solaire, montrant ainsi
ses relations astronomiques. 8
Nous voyons donc
que l’année solaire, ou plutôt le nombre de ses jours, se trouve correspondre à
l’homme septénaire, ou deux fois septénaire, car nous avons l’homme psychique
aux sept principes ou plans éthérés et l’homme physique dont la division est la
même, ce qui fait 14 et correspond aux trois chiffres 3+6+5=14.
Voyons si l’œil
nocturne d’Osiris, la lune ou le symbole du Jéhovah hébreu, y correspond. Il
est dit dans un manuscrit non publié et for cabalistique:
« Les anciens ont
toujours fait un usage mystérieux des nombres 3 et 4, composants du nombre 7.
Une des principales propriétés de ce chiffre ainsi divisé, c’est que, si nous
multiplions 20612 (9) par 4/3, le produit nous donnera une
base pour la détermination de la révolution moyenne de la lune et si nous
multiplions encore ce produit par 4/3 nous aurons une base pour trouver la
période exacte de l’année solaire moyenne.10 »
Maintenant,
examinez bien la croix ansée ésotérique des Égyptiens. La croix c’est le cube
déployé dont les six faces nous donnent le septénaire, car nous avons 4 en
ligne verticale et 3 en ligne horizontale, ce qui fait 7, la cellule du milieu étant
commune aux deux lignes.
Le 4 et le 3
sont les nombres les plus ésotériques, car 7 est le nombre de la vie, le nombre
de la nature même, comme il est aisé de le prouver en se reportant aux règnes
végétal et minéral. 3 est l’esprit; 4 est la matière.
Mais dans le
symbole en question qui est purement phallique, puisqu’il représente l’homme
vivant et septénaire, c’est le 4 qui correspond à la ligne mâle; c’est, en effet,
le Tétragrammaton, le Tétraktys sur le plan inférieur, «l’Homme céleste» ou
AdamKadmon, le mâle-femelle (c’est-à-dire Jah-vah ou Jéhovah); ou bien encore
Chochma et Binah (la Sagesse et l’Intelligence, le divin Hermaphrodite), sur notre
plan cosmique et terrestre.
La ligne
horizontale des trois surfaces du cube est le principe féminin. C’est
Jéhovah-Ève de la race pré-adamique, qui, comme Brahmâ-Vâch, se sépare en deux
sexes. Cette Ève, qui fut la Sophia ou le Saint-Esprit 11 des
Gnostiques, donna naissance à Caïn-Abel, le mâle et la femelle sur terre dans
la race d’Adam (voir dans La Doctrine Secrète,
mes notes sur Caïn et Abel 12).
Une fois dans
l’autre monde, les principes constitutifs du défunt se séparent de la manière
suivante:
D’abord le principe
vital quitte le corps, puis le corps se dissout; l’esprit astral s’évapore avec
le dernier atome physique. Il reste du quaternaire inférieur le Kama rupa,
c’est-à-dire le périsprit de l’homme animal.
Quant au
ternaire supérieur, il quitte le quaternaire inférieur; et l’Esprit avec son
véhicule l’Âme divine, accompagnés de l’arôme spirituel du Manas, réunis dans
l’Unité de l’Ego immortel, se trouvent dans l’état heureux de Devachan.
Le périsprit
(âme animale) ne conserve de la partie inférieure de Manas (âme humaine) que
juste assez d’instinct pour rechercher des médiums à vampiriser. Sa destinée
est de s’évaporer un jour. En attendant, il ne vit que de la vie et de
l’intelligence des vivants (médiums et croyants), qui sont assez faibles pour
se laisser posséder: c’est donc une misérable vie d’emprunt.
Et voilà ce que
veulent dire les trois coudées des épis et les cuatre coudées de la tige du froment qui
croit dans les Champs d’Aanrou.
NOTES
1) Ce passage
est cité dans la deuxième partie d'un écrit de Franz Lambert titré «Psychologie
de l’ancienne Égypte», paru originellement en allemand dans la revue Die Sphinx, un magazine publié à
Leipzig, en Allemagne, par le Dr William Hübbe- Schleiden.
Son titre
original était «Die altägyptische Seelenlehre», et une traduction française de
celui-ci parut dans Le Lotus, le
journal mensuel de la branche «Isis» de la Société Théosophique de Paris, et
peut être trouvée dans le vol. III, avril, mai et juin 1888.
Il contient,
entre autres sujets de grand intérêt, une comparaison des divisions égyptienne
et kabbalistique de la constitution humaine.
Et d’autres
informations aussi précieuses concernant les sciences occultes de l’ancienne Égypte,
peuvent être trouvées dans deux autres essais de la plume de Franz Lambert:
«Hypnotismus und Electrizität im alten Ägypten» (Sphinx, Vol. V, janvier 1888;
traduit en anglais dans The Theosophist, Vol. XIV, décembre 1892, p.161-171,
avec des dessins intéressants), et «Weisheit der Ägypter» (ibid., Vol. VII, janvier,
février, avril et juin 1889).
Et l'article de
Georgia Louise Leonard, en audience publique (septembre et octobre 1887), sur
«Les sciences occultes dans les temples de l'Égypte ancienne» est également
plein de données intéressantes. (Zircoff)
2) Il semble y
avoir une certaine incertitude sur les versets du chapitre CIX dont Blavatsky fait
référence à sa citation. Dans la traduction anglaise de Sir E.A. Wallis Budge
de Theban, Recension of The Book of the
Dead (2e éd., Rev.et enl., 3e impression, Londres, Kegan Paul, Trench,
Trübner & Co., et New York, EP Dutton & Co., 1928), ce sujet est traité
aux versets 7 et 8 du chapitre CIX (page 318 de l'ouvrage).
Nous citons le
texte de Budge, au profit des étudiants:
« Moi, même
moi, je connais le Sekhet-Aarru de (7) Ra, dont les murs sont de fer. La hauteur
du blé y est de cinq coudées, de ses épis deux coudées et de ses tiges de trois
coudées. (8) L'orge y a [en hauteur] sept coudées, ses épis sont de trois
coudées et ses tiges de quatre coudées. »
Il n'y a aucune
mention de Hapi dans cette recension. Il est donc probable que correspond à une
autre recension, telle que le Saitic. (Zircoff)
3) Le mot psychopompe
est composé par deux mots grecs : psyche qui signifie âme, et pompos qui signifie conduire, c’est donc
celui qui conduit les âmes.
4) Livre des Morts, chap. XVII, verset 37.
5) Le petit scandale produit au VIIIe siècle par le sorcier-évêque Adalbert de
Bavière qui compromit ce pauvre Uriel. (HPB)
6) Les lecteurs qui ont suivi attentivement
l’enseignement donné par Le Lotus comprendront aisément toutes ces choses et
celles qui suivent; quant aux autres, nous ne pouvons leur donner que le
conseil de lire Le Lotus depuis le commencement. (HPB)
7) Rappelons aux lecteurs qu’en cabbale on doit tenir compte de la valeur
numérique des lettres, par exemple : ש ou sh vaut 3, ד ou o vaut 6, etc. Et nous demandons pardon aux cabalistes de cette note un
peu naïve, mais nous faisons notre possible pour être clair vis-à-vis des
lecteurs qui sont novices en ces choses. (HPB)
8) J. Ralston Skinner, Source of Measures, p. 53.
9) Ce nombre est le numérateur de 20612/6561 d’où l’on tire le nombre 7r,
rapport du diamètre à la circonférence. (HPB)
10) À partir d'un manuscrit inédit de J. Ralston Skinner trouvé
dans les archives Adyar, des informations complètes à ce sujet peuvent être
trouvées dans les Collected Writings, vol. VIII, p.
219-20, note 6. (Zircoff)
11) Voyez «l’Évangile apocryphe (?) des Hébreux» où l’auteur fait dire à Jésus:
« Ma Mère, le Saint-Esprit, me prit par un cheveu de la tête et me
transporta sur le mont Thabor ». J'ai traduit de l'original. (HPB)
Ce passage est cité en latin par Origène dans son Comm. à
Evang. Joannis,
Tom. II, p. 64, ainsi : « Modo accepte me Mater mea Sanctus Spiritus,
uno capillorum meorum, et me in montem magnum Thabor portavit ». (Zircoff)
12) Il est
quelque peu incertain quels passages particuliers de son magnum opus La Doctrine Secrète, Blavatsky avait à
l'esprit en faisant cette déclaration. Il ne faut pas oublier qu'au moment de
la rédaction de cet article, La Doctrine Secrète
n'avait pas encore été publiée, et il se pourrait bien que d'autres
modifications aient été apportées au manuscrit de cet ouvrage après juillet
1888.
Cependant, la
dernière partie de la page 127, dans le volume II de la version originale de La Doctrine Secrète présente une
analogie étroite avec le sujet en discussion. Consultez l'index de cet ouvrage
pour les nombreuses autres références à Caïn et Abel. (Zircoff)
(Cet article
fut originalement publié dans Le Lotus, vol. III, No. 16, juillet 1888,
p.202-206, puis dans le Blavatsky Collected
Writings, vol. X, p.48-54.)
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