« Je suis
persuadé qu’un jour viendra où la physiologiste, le poète et le philosophe
parleront la même langue et s’entendront tous. »
(Claude Bernard)
Le plus grand mal
de notre temps
est que la Science
et la Religion y apparaissent comme deux forces
ennemies et irréductibles. Mal intellectuel d’autant plus pernicieux qu’il vient de haut et
s’infiltre sourdement, mais sûrement, dans tous les esprits, comme un
poison subtil qu’on respire dans l’air. Or, tout mal de l’intelligence devient à la longue
un mal de l’âme et par suite un mal social.
Tant
que le christianisme ne fit qu’affirmer naïvement la foi chrétienne au
milieu d’une Europe encore à demi-barbare, comme au
moyen âge, il fut la plus grande des forces morales
; il a formé l’âme
de l’homme moderne. — Tant que la science
expérimentale, ouvertement reconstituée au seizième siècle, fit que revendiquer
les droits légitimes de la raison et sa liberté illimitée, elle fut la plus
grande des forces intellectuelles ; elle a renouvelé la face du monde, affranchi l’homme de chaînes
séculaires et fourni à, l’esprit humain des bases indestructibles.
Mais depuis
que l’Église, ne pouvant plus
prouver
son dogme primaire en face des objections de la science, s’y est enfermée comme dans une maison sans fenêtres, opposant la foi à la raison comme un commandement absolu et
indiscutable ; depuis que la Science,
enivrée de ses découvertes dans le monde physique, faisant abstraction du
monde psychique et intellectuel, est devenue
agnostique dans sa méthode,
matérialiste dans ses principes comme dans sa fin ; depuis que
la Philosophie, désorientée et impuissante entre les deux, a en quelque
sorte abdiqué ses droits pour tomber
dans un scepticisme transcendant,
une scission profonde s’est faite dans l’âme de la société comme dans celle des individus. Ce conflit,
d’abord nécessaire et utile, puisqu’il a établi les droits
de la Raison et de la Science, a fini par devenir une cause d’impuissance et de dessèchement. La Religion
répond aux besoins du cœur ;
de là sa magie éternelle ; la Science à ceux de l’esprit, de là sa force
invincible.
Mais depuis longtemps, ces
puissances ne savent plus s’entendre. La Religion sans preuve et la Science sans espoir sont debout,
l’une en face de l’autre,
et se défient sans pouvoir se vaincre.
De là une contradiction profonde, une guerre cachée,
non seulement entre
l’État et l’Église, mais encore
dans la Science elle-même, dans le sein de toutes les églises et jusque dans la conscience de tous les individus
pensants. Car, qui que nous soyons, à quelque école philosophique, esthétique et sociale que nous appartenions,
nous portons en nous ces deux
mondes ennemis, en apparence
irréconciliables, qui naissent de deux besoins indestructibles de
l’homme : le besoin scientifique et le besoin religieux. Cette situation, qui dure
depuis plus de cent ans, n’a certainement pas peu contribué
à développer les facultés
humaines en les tendant les unes contre les
autres. Elle a inspiré à la poésie et à
la musique des accents d’un
pathétique et d’un grandiose inouï. Mais aujourd’hui, la tension prolongée et
suraiguë a produit l’effet contraire. Comme
l’abattement succède à la fièvre chez un malade, elle s’est changée en marasme, en dégoût, en impuissance.
La Science ne s’occupe que du monde physique et matériel ; la philosophie
morale a perdu la direction des
intelligences ; la Religion gouverne encore dans une certaine
mesure les masses, mais elle ne règne plus sur
les sommets sociaux ; toujours grande par la charité, elle ne rayonne plus par la foi. Les guides intellectuels de notre temps sont des
incrédules ou des sceptiques parfaitement
sincères et loyaux. Mais
ils doutent de leur art et
se regardent en souriant
comme les augures romains.
En public, en privé, ils prédisent
les catastrophes sociales sans trouver le remède, ou enveloppent leurs sombres oracles d’euphémismes prudents. Sous de tels
auspices, la littérature et l’art ont perdu le sens du divin. Déshabituée des
horizons éternels, une grande
partie de la jeunesse a versé dans ce
que ses maîtres
nouveaux appellent le naturalisme,
dégradant ainsi le beau nom de Nature. Car ce qu’ils décorent de ce vocable n’est que l’apologie
des bas instincts, la fange
du vice ou la peinture
complaisante de nos platitudes sociales, en un mot, la négation systématique de l’âme et de l’intelligence. Et la pauvre Psyché ayant
perdu ses ailes gémit et soupire étrangement
au fond de ceux-là même qui l’insultent et
la nient.
À force de matérialisme, de positivisme et de scepticisme, cette fin de siècle en est
arrivée à une fausse idée de la
Vérité et du Progrès.
Nos
savants, qui pratiquent la méthode expérimentale
de Bacon pour l’étude de l’univers visible avec une précision merveilleuse et d’admirables
résultats, se font de la
Vérité une idée tout extérieure et matérielle. Ils pensent qu’on s’en rapproche
à mesure qu’on accumule un plus grand nombre de faits. Dans leur domaine,
ils ont raison. Ce
qu’il y a de grave,
c’est que nos philosophes et nos moralistes ont fini par
penser de même. À ce compte, il est certain que les causes premières
et les fins dernières resteront
à jamais impénétrables à l’esprit humain. Car, supposez que nous
sachions exactement ce qui se passe, matériellement
parlant, dans toutes les planètes du système solaire, ce qui, soit dit en
passant, serait une magnifique base d’induction
; supposez même que
nous sachions quelle sorte d’habitants renferment les satellites de Sirius et de plusieurs étoiles de la voie lactée. Certes, il serait merveilleux de savoir
tout cela, mais en
saurions-nous d’avantage sur la totalité
de notre amas Stellaire, sans parler de
la nébuleuse d’Andromède et de la nuée de Magellan ? — Cela fait que
notre temps conçoit
le développement de l’humanité
comme la marche éternelle vers une vérité indéfinie, indéfinissable et à jamais inaccessible.
Voilà
la conception
de la philosophie positiviste d’Auguste Comte et d’Herbert Spencer qui a prévalu
de nos jours.
Or, la Vérité était
tout autre chose
pour les sages et
les théosophes de l’Orient et de la Grèce. Ils savaient
sans doute qu’on ne peut l’embrasser et l’équilibrer sans une connaissance sommaire
du monde physique, mais ils savaient aussi qu’elle
réside avant tout en nous-mêmes, dans
les principes intellectuels et dans la vie
spirituelle de l’âme.
Pour eux, l’âme
était la seule, la divine réalité et la clef de
l’univers. En ramassant leur volonté à
son centre, en développant ses facultés latentes,
ils atteignaient à ce foyer vivant qu’ils nommaient
Dieu, dont la lumière
fait comprendre les hommes et les êtres. Pour eux, ce que nous nommons
le Progrès, à savoir l’histoire du monde et des
hommes, n’était que
l’évolution dans le temps et dans
l’espace de cette Cause centrale et de cette
Fin dernière. — Et vous croyez
peut-être que ces théosophes
furent de purs contemplatifs, des rêveurs impuissants,
des fakirs perchés sur leurs colonnes ?
Erreur,
Le monde n’a pas connu de plus
grands hommes d’action, dans
le sens le plus fécond, le plus incalculable du
mot. Ils brillent comme des étoiles de
première grandeur dans le ciel des âmes.
Ils s’appellent : Krishna,
Bouddha, Zoroastre, Hermès,
Moïse, Pythagore, Jésus, et
ce furent de puissants mouleurs d’esprits, de formidables éveilleurs d’âmes, de
salutaires organisateurs de sociétés.
Ne vivant que pour leur idée, toujours prêts à mourir, et
sachant que la mort pour la Vérité
est l’action efficace
et suprême, ils ont
créé les sciences et les religions, par suite les lettres et les arts dont le
suc nous nourrit encore et nous fait
vivre. Et qu’est en train de produire le positivisme et le scepticisme de nos jours ? Une génération sèche, sans
idéal, sans lumière et sans foi, ne
croyant ni à l’âme ni à Dieu, ni à l’avenir de l’humanité, ni à cette vie ni à l’autre, sans énergie dans
la volonté, doutant d’elle-même et de la liberté humaine.
«
C’est par leurs fruits que vous les jugerez », a dit Jésus. Ce mot du Maître des maîtres s’applique aux doctrines comme aux hommes. Oui
; cette pensée s’impose : Ou la vérité est
à jamais inaccessible à l’homme, ou elle a
été possédée
dans une large mesure par les plus grands sages et
les premiers initiateurs de la terre. Elle se trouve donc au fond de
toutes les grandes religions et dans les livres sacrés de tous les peuples.
Seulement, il faut savoir l’y trouver et l’en
dégager.
Si l’on
regarde l’histoire des religions
avec des yeux
dessillés par cette vérité centrale que l’initiation
intérieure peut seule donner, on demeure à la fois surpris et émerveillé. Ce qu’on
aperçoit alors ne ressemble guère à ce
qu’enseigne l’Église qui borne la révélation au christianisme et ne
l’admet que dans son sens primaire. Mais
cela ressemble tout aussi peu à ce qu’enseigne la science
purement naturaliste dans notre Université. Celle-ci se place cependant à un point
de vue plus large. Elle met toutes les religions sur la même ligne et
leur applique une méthode unique
d’investigation. Son érudition est
profonde, son zèle admirable, mais
elle ne s’est pas encore élevée au point de vue de l’ésotérisme
comparé, qui montre l’histoire
des religions et de l’humanité sous un aspect entièrement nouveau. De cette hauteur, voici ce qu’on aperçoit :
Toutes
les grandes religions ont une histoire extérieure et une histoire intérieure ;
l’une apparente, l’autre cachée. Par l’histoire
extérieure, j’entends les dogmes
et les mythes enseignés publiquement dans les temples et les écoles,
reconnus dans le culte et les superstitions
populaires. Par l’histoire intérieure, j’entends la science
profonde, la doctrine secrète, l’action occulte des
grands initiés, prophètes ou réformateurs qui
ont créé, soutenu, propagé ces mêmes
religions. La première, l’histoire officielle, celle qui se lit partout, se
passe au grand jour ; elle n’en
est pas moins obscure, embrouillée, contradictoire. La seconde,
que j’appelle la tradition ésotérique ou la doctrine des Mystères, est très difficile
à démêler. Car elle se passe
dans le fond des temples, dans les confréries secrètes, et ses drames les plus saisissants se déroulent tout entiers dans
l’âme des grands prophètes, qui n’ont confié à aucun parchemin ni à aucun
disciple leurs crises suprêmes, leurs extases
divines. Il faut la deviner.
Mais une fois qu’on la voit,
elle apparaît lumineuse, organique, toujours en harmonie avec elle-même. On
pourrait aussi l’appeler l’histoire
de la religion éternelle et universelle. En elle se montre le dessous
des choses, l’endroit de la conscience humaine, dont l’histoire
n’offre que l’envers laborieux : Là, nous
saisissons le point
générateur de la Religion et de la Philosophie qui se rejoignent à
l’autre bout de l’ellipse par la science intégrale. Ce point correspond aux
vérités transcendantes. Nous y trouvons la cause,
l’origine et la fin du prodigieux travail
des siècles, la Providence en ses agents
terrestres. Cette histoire est la seule dont je me sois occupé dans ce
livre.
Pour la race aryenne,
le germe et
le noyau s’en trouvent
dans les Védas. Sa première cristallisation
historique apparaît dans la doctrine trinitaire de Krishna qui donne au brahmanisme
sa puissance, à la religion de
l’Inde son cachet indélébile. Bouddha, qui selon la chronologie
des brahmanes serait postérieur
à Krishna de deux mille quatre cents ans, ne fait que mettre en dehors un autre
côté de la doctrine occulte, celui de la métempsycose et de la série des existences enchaînées par la loi du Karma. Quoique
le bouddhisme fût une révolution démocratique, sociale et morale contre le brahmanisme aristocratique et sacerdotal, son fond méta physique est le même,
mais moins complet.
L’antiquité de la doctrine sacrée n’est pas moins
frappante en Égypte, dont les traditions remontent jusqu’à une civilisation bien antérieure à l’apparition
de la race aryenne sur la scène de l’histoire.
Il était permis de
supposer, jusqu’en ces derniers
temps, que le monisme trinitaire exposé dans les livres grecs d’Hermès Trismégiste était une
compilation de l’école d’Alexandrie sous
la double influence du judéo-christianisme et du néo-platonisme. D’un commun accord, croyants ou incrédules, historiens et théologiens n’ont cessé de l’affirmer jusqu’à ce jour. Or, cette
théorie tombe aujourd’hui devant les découvertes de l’épigraphie égyptienne. L’authenticité fondamentale
des livres d’Hermès comme documents de l’antique
sagesse de l’Égypte, ressort
triomphante des hiéroglyphes expliqués. Non seulement les inscriptions des stèles de Thèbes et de Memphis
confirment toute la chronologie de Manéthon, mais elles démontrent que les prêtres d’Ammon-Râ professaient la haute métaphysique qu’on enseignait sous d’autres formes sur les bords du Gange.(1). On peut dire ici avec le prophète
hébreu que la pierre parle et que le mur jette son cri. » Car,
pareil au « soleil de minuit » qui reluisait, dit-on, dans les Mystères d’Isis et d’Osiris, la pensée d’Hermès,
l’antique doctrine du verbe solaire
s’est rallumée dans les
tombeaux des Rois et brille jusque sur les papyrus
du Livre des Morts, gardés par des momies
de quatre mille ans.
En Grèce,
la pensée ésotérique est à la fois plus
visible et plus enveloppée qu’ailleurs ; plus visible,
parce qu’elle se joue à travers
une mythologie humaine et ravissante,
parce qu’elle coule comme un sang ambrosien dans les veines de cette
civilisation, et jaillit par
tous les pores de ses Dieux comme un parfum et comme une rosée céleste. D’autre part, la pensée profonde et scientifique,
qui présida à la conception
de tous ces mythes, est souvent plus difficile
à pénétrer à cause de leur
séduction même et des embellissements qu’y ont ajoutés
les poètes. Mais les principes sublimes de la théosophie dorienne et de la sagesse delphique sont inscrits en
lettres d’or dans les fragments
orphiques et dans la synthèse pythagoricienne ; non moins
que dans la vulgarisation dialectique et peu, fantaisiste de Platon. L’école
d’Alexandrie, enfin nous fournit des clefs utiles.
Car elle fut la
première à publier en partie et à commenter le sens, des mystères, au milieu du relâchement de la religion grecque et en face du
christianisme grandissant.
La
tradition occulte d’Israël, qui procède à la fois de l’Égypte, de la Chaldée et
de la Perse, nous a été conservée sous des formes
bizarres et obscures, mais dans toute sa profondeur et son étendue
par la Kabbale
ou tradition orale,
depuis le Zohar et
le Sépher Jézirah attribué à Simon Ben Jochaï jusqu’aux commentaires de Maïmonidès. Mystérieusement renfermée dans la
Genèse et dans la symbolique des prophètes, elle ressort d’une manière frappante de l’admirable travail de Fabre d’Olivet
sur La langue hébraïque restituée, qui tend à reconstruire
la véritable cosmogonie de
Moïse, selon la méthode égyptienne, d’après le triple sens de chaque verset et presque de
chaque mot des dix premiers chapitres
de la Genèse.
Quant à l’ésotérisme chrétien, il rayonne
de lui- même dans les Évangiles éclairés par les traditions esséniennes et gnostiques. Il jaillit
comme d’une source vive de la parole du Christ, de ses paraboles, du
fond même de cette âme incomparable, vraiment divine. En même temps
l’Évangile de Saint
Jean nous donne la clef
l’enseignement intime et supérieure de Jésus avec le sens et la portée de sa
promesse. Nous retrouvons là cette doctrine de la Trinité et du Verbe divin déjà enseignée depuis des milliers
d’années dans les temples de
l’Égypte et de l’Inde, mais évertuée, personnifiée par le prince
des initiés, par le plus grand des fils de Dieu.
L’application de la méthode
que j’ai appelée
l’ésotérisme comparé à l’histoire des religions nous conduit
donc à un résultat d’une haute
importance, qui se résume ainsi : l’antiquité, la continuité et l’unité
essentielle de la doctrine ésotérique. Il faut reconnaître que c’est là un fait bien remarquable. Car il suppose
que les sages et les prophètes des temps les plus
divers sont arrivés à des conclusions identiques pour le fond, quoique
différentes dans la forme, sur les
vérités premières et dernières — et cela toujours par la même voie de
l’initiation intérieure et de la méditation.
Ajoutons que ces sages et ces prophètes furent
les plus grands bienfaiteurs de l’humanité, les sauveurs
dont la force rédemptrice arracha les hommes
au gouffre de la nature inférieure et de la négation.
Ne faut-il
point dire après
cela qu’il y a, selon
l’expression de Leibnitz une sorte de philosophie
éternelle, perennis
quædam philosophia, qui constitue le lien
primordial de la science et de la religion et leur unité finale ?
La
théosophie antique professée en Inde ; en
Égypte et en Grèce constituait une encyclopédie véritable, divisée généralement en quatre catégories :
1.
la Théogonie ou science des principes
absolus, identique avec la science des Nombres appliquée, à l’univers, ou les mathématiques sacrées ;
2.
la Cosmogonie,
réalisation des principes éternels dans l’espace et le temps, ou involution de
l’esprit dans la matière ; périodes du monde ;
3.
la Psychologie ; constitution
de l’homme ; évolution de l’âme à travers la chaîne des existences ;
4.
la Physique, science des règnes de la nature terrestre et de ses propriétés.
La
méthode inductive et la méthode expérimentale se combinaient et se contrôlaient l’une par l’autre
dans ces divers ordres de sciences, et à chacune
d’elles correspondait un art.
C’étaient, en les prenant
dans l’ordre inverse,
et en commençant par les sciences physiques :
1.
une Médecine spéciale fondée sur la connaissance des propriétés occultes des
minéraux, des plantes et des animaux
; l’Alchimie ou transmutation
des métaux, désintégration et réintégration de la matière par
l’agent universel, art pratiqué
dans l’Égypte ancienne selon Olympiodore et nommé par lui chrysopée et argyropée, fabrication de l’or et de l’argent ;
2.
les Arts psychurgiques
correspondant aux forces de l’âme :
magie et divination ;
3.
la Généthliaque céleste ou astrologie,
ou l’art de découvrir le rapport entre les destinées des peuples
ou des individus
et les mouvements
de l’univers marqués
par les révolutions des astres ;
4.
la Théurgie, l’art suprême
du mage, aussi rare que périlleux et difficile, relui de mettre
l’âme en rapport
conscient avec les divers ordres
d’esprits et d’agir sur eux.
On le voit, sciences
et arts, tout se tenait dans cette théosophie et découlait d’un même principe
que j’appellerai en langage moderne
le monisme intellectuel, le spiritualisme évolutif et transcendant.
On peut formuler comme il suit les principes essentiels de la doctrine ésotérique : — L’esprit est
la seule réalité. La matière
n’est que son expression inférieure, changeante, éphémère, son dynamisme dans l’espace et le
temps. — La création est éternelle et continue comme la vie. Le microcosme-homme est par sa constitution
ternaire : (esprit, âme et corps)
l’image et le miroir du macrocosme-univers (monde divin,
humain et naturel), qui est lui-même l’organe du Dieu ineffable, de l’esprit
absolu, lequel est par sa nature : Père, Mère et Fils (essence, substance
et vie). — Voilà pourquoi l’homme, image
de Dieu, peut devenir son verbe
vivant. La gnose ou la mystique rationnelle de tous les temps,
est l’art de trouver Dieu en soi en développant les profondeurs occultes, les
facultés latentes de la conscience. — L’âme humaine,
l’individualité, est immortelle par essence. Son développement a lieu sur un plan tour à tour descendant et
ascendant, par des existences alternativement spirituelles et corporelles. — La réincarnation est la loi de son évolution. Parvenue
à sa perfection, elle y échappe et retourne à l’Esprit pur, à Dieu dans la plénitude de
sa conscience. De même
que l’âme s’élève au-dessus de la loi
du combat pour la vie lorsqu’elle prend conscience de son humanité,
de même elle s’élève au-dessus de
la loi de la réincarnation lorsqu’elle prend conscience
de sa divinité.
Les
perspectives qui s’ouvrent au seuil de la théosophie
sont immenses, surtout lorsqu’on les
compare à l’étroit et désolant horizon où le matérialisme enferme l’homme,
ou aux données enfantines et inacceptables de la théologie cléricale. En
les apercevant pour la première fois
on éprouve l’éblouissement, le frisson de l’infini.
Les abîmes de l’Inconscient s’ouvrent en nous-mêmes, nous
montrent le gouffre d’où nous sortons,
les hauteurs vertigineuses où nous aspirons.
Ravis de cette immensité, mais épouvantés du
voyage, nous demandons à ne plus être ; nous faisons appel au Nirvana ! Puis, nous
nous apercevons que cette faiblesse n’est que la lassitude du
marin prêt à lâcher la rame au milieu
de la bourrasque. Quelqu’un à dit : l’homme
est né dans un creux de vague et
ne sait rien du vaste océan qui s’étend en arrière
et en avant. Cela est vrai ; mais
la mystique transcendante
pousse notre barque sur la crête d’une lame, et là, toujours battus par la
furie de la tempête, nous saisissons son rythme grandiose
; et l’œil mesurant la voûte du ciel, se repose dans
le calme de l’azur.
La
surprise augmente, si, revenant
aux sciences modernes, on constate
que depuis Bacon et Descartes, elles tendent involontairement,
mais d’autant plus sûrement, à revenir aux données de l’ancienne théosophie. Sans
abandonner l’hypothèse des
atomes, la physique moderne en
est arrivée
insensiblement à identifier
l’idée de matière avec l’idée de force, ce qui est un pas vers le dynamisme
spiritualiste. Pour expliquer la lumière, le magnétisme, l’électricité, les
savants ont dû admettre une matière subtile et absolument impondérable,
remplissant l’espace et pénétrant tous les corps, matière qu’ils ont appelée
éther, ce qui est un pas vers l’antique idée théosophique de l’âme du monde. Quant à l’impressionnabilité, à
l’intelligente docilité de cette matière, elle ressort d’une récente expérience
qui prouve la transmission du son par la lumière.(2) — De toutes les
sciences, celles qui semblent avoir le plus compromis le spiritualisme, sont la zoologie comparée et l’anthropologie. En
réalité, elles l’auront servi, en montrant la loi et le mode d’intervention du monde intelligible dans le monde
animal. Darwin a mis fin à l’idée enfantine de la création selon la théologie primaire. Sous ce rapport,
il n’a fait que revenir aux idées de l’ancienne
théosophie. Pythagore déjà avait dit « l’homme
est parent de l’animal. » Darwin a montré les lois auxquelles
obéit la nature pour exécuter le plan divin, lois instrumentaires qui sont : le combat
pour la vie, l’hérédité et la sélection naturelle. Il a prouvé la variabilité
des espèces, il en a réduit le nombre, il en a établi l’étiage. Mais ses disciples,
les théoriciens du transformisme absolu qui ont voulu faire sortir toutes les espèces d’un
seul prototype et faire
dépendre leur apparition des
seules influences des milieux,
ont forcé les faits en faveur d’une conception purement
externe et matérialiste de la nature. Non, les milieux n’expliquent pas
les espèces, pas
plus que les lois physiques
n’expliquent les lois chimiques, pas
plus que la chimie n’explique le principe
évolutif du végétal, ni celui-ci le principe évolutif des animaux. Quant
aux grandes familles d’animaux, elles correspondent aux types
éternels de la vie, signatures de
l’Esprit, qui marquent l’échelle de la conscience. L’apparition des mammifères après les reptiles et les oiseaux n’a pas sa raison
d’être dans un changement du milieu terrestre ; celui-ci n’en est que la condition. Elle suppose une embryogénie nouvelle
; par conséquent une nouvelle force
intellectuelle et animique
agissant par le dedans et le
fond de la nature, que nous appelons l’au-delà relativement à la perception des
sens. Sans cette force intellectuelle et animique on n’expliquerait pas même l’apparition d’une cellule organisée dans le monde inorganique. Enfin
l’Homme qui résume et couronne
la série des êtres, révèle toute la pensée divine par l’harmonie des organes et la perfection de la forme
; effigie vivante
de l’Âme universelle, de l’Intelligence activée. Condensant tontes les lois de l’évolution et toute la nature dans
son corps, il la domine et s’élève
au-dessus d’elle, pour entrer par la
conscience et par la liberté dans le royaume infini de l’Esprit.
La
psychologie expérimentale appuyée sur la Physiologie, qui tend depuis le
commencement du siècle à redevenir une science, à conduit les savants contemporains
jusqu’au seuil d’un autre monde, le monde
propre de l’âme, où, sans
que les analogies cessent, règnent
des lois nouvelles. J’entends parler des études et des constatations médicales de ce siècle sur le magnétisme animal ; sur le
somnambulisme et sur tous les états de l’âme différents de la veille, depuis le sommeil
lucide à travers
la double vue jusqu’à l’extase. La science
moderne n’a fait encore que tâtonner
dans ce domaine, où la science des temples antiques avait su s’orienter, parce
qu’elle en possédait les principes et les
clefs nécessaires. Il n’en est
pas moins vrai qu’elle
y a découvert tout un ordre de faits qui lui
ont paru étonnants, merveilleux, inexplicables, parce qu’ils contredisent
nettement les théories matérialistes sous l’empire desquelles elle a pris
l’habitude de penser et d’expérimenter.
Rien n’est plus instructif que l’incrédulité indignée de certains
savants matérialistes devant tous les phénomènes qui tendent à prouver l’existence d’un monde invisible
et spirituel. Aujourd’hui, quelqu’un
qui s’avise de prouver l’âme scandalise
l’orthodoxie de l’athéisme, autant qu’on scandalisait autrefois l’orthodoxie de l’Église en niant
Dieu. On ne risque plus sa vie, il est vrai,
mais on risque sa réputation. — Quoi qu’il
en soit, ce qui ressort
du plus simple
phénomène de suggestion mentale à distance et par là pensée pure, phénomène constaté mille fois dans les annales du
magnétisme.(3) C’est un mode
d’action de l’esprit et de la volonté en dehors
des lois physiques et du monde visible. La porte de l’Invisible est donc ouverte.
— Dans les hauts phénomènes du somnambulisme, ce monde
s’ouvre tout à fait. Mais je m’arrête ici à ce qui est constaté par l’a science
officielle.
Si nous passons de la psychologie expérimentale et
objective à la psychologie intime
et subjective de notre
temps qui s’exprime en poésie,
en musique et en littérature, nous trouverons qu’un
immense souffle d’ésotérisme
inconscient les traverse. Jamais
l’aspiration à la vie, au monde invisible refoulée par les théories
matérialistes des savants et par l’opinion mondaine, n’a été plus sérieuse et
plus réelle. On retrouve cette aspiration dans les regrets, dans les doutes,
dans les mélancolies noires et jusque
dans les blasphèmes de nos romanciers naturalistes et de nos poètes
décadents. Jamais
l’âme humaine n’a eu un sentiment plus profond de l’insuffisance, de la
misère, de l’irréel de sa vie présente, jamais elle n’a
aspiré plus ardemment l’invisible au-delà,
sans parvenir à y croire.
Quelquefois même son intuition arrive à formuler des vérités transcendantes qui ne font point partie du système admis par sa raison, qui contredisent ses opinions de surface et qui sont d’involontaires
effulgurations de sa conscience occulte.
J’en citerai pour preuve le passage
d’un rare penseur qui a goûté toute l’amertume et toute la solitude morale de
ce temps-ci.
« Chaque sphère de l’être, dit Frédéric Amiel,
tend à une sphère plus élevée et en a déjà des révélations et
des pressentiments. L’idéal, sous toutes ses formes, est l’anticipation,
la vision prophétique de cette existence
supérieure à la sienne, à laquelle chaque être aspire toujours. Cette
existence supérieure en dignité est plus intérieure par sa nature, c’est-à-dire
plus spirituelle. Comme les volcans nous apportent les secrets de l’intérieur du globe, l’enthousiasme, l’extase sont
des explosions
passagères de ce monde intérieur
de l’âme, et la vie humaine n’est que la préparation et l’avènement à cette vie spirituelle. Les
degrés de l’initiation sont innombrables. Ainsi veille, disciple
de la vie, chrysalide d’un ange,
travaille à ton éclosion future,
car l’Odyssée divine
n’est qu’une série
de métamorphoses de plus en plus éthérées, où chaque forme, résultat des précédentes,
est la condition de celles qui suivent. La vie divine est une série de morts successives où l’esprit rejette
ses imperfections et ses
symboles et cède à l’attraction croissante du centre
de gravitation ineffable, du soleil de l’intelligence et de l’amour. »
Habituellement Amiel n’était qu’un hégélien
très intelligent, doublé d’un moraliste supérieur. Le jour où il écrivit
ces lignes inspirées, il fut profondément théosophe. Car on ne saurait
exprimer d’une manière plus saisissante et plus lumineuse l’essence même de la
vérité ésotérique.
Ces aperçus
suffisent à démontrer
que la science et l’esprit moderne
se préparent sans le savoir
et sans le vouloir à une reconstitution de
l’antique théosophie avec des instruments plus précis et sur une base plus
solide. Selon le mot de Lamartine, l’humanité est un tisserand qui travaille en arrière à la trame
des temps. Un jour viendra, où passant de l’autre côté de la toile,
elle contemplera le tableau magnifique et grandiose qu’elle aura tissé pendant
des siècles de ses propres mains, sans en voir autre chose que le pêle-mêle des
fils enchevêtrés à l’envers. Ce jour-là elle saluera la Providence manifestée en elle-même. Alors
se confirmeront les
paroles d’un écrit hermétique contemporain, et elles
ne sembleront pas trop audacieuses
à ceux qui ont pénétré assez profondément dans les traditions occultes pour soupçonner
leur merveilleuse unité :
« La doctrine
ésotérique n’est pas seulement
une science, une philosophie, une morale, une religion. Elle est la science, la philosophie, la morale
et la religion, dont toutes les autres ne sont que des préparations ou des
dégénérescences, des expressions partielles ou faussées,
selon qu’elles s’y acheminent ou en dévient. »(4)
Loin de moi la vaine pensée
d’avoir donné de cette
science des sciences une démonstration
complète. Il n’y faudrait
pas moins que l’édifice des
sciences connues et inconnues,
reconstituées dans leur cadre hiérarchique et réorganisées dans l’esprit de
l’ésotérisme. Tout ce que j’espère
avoir prouvé, c’est que la doctrine
des Mystères est à la source de notre
civilisation ; qu’elle a créé
les grandes religions aussi bien
aryennes que sémitiques ; que
le christianisme y conduit le genre
humain tout entier par sa réserve ésotérique,
et que la science moderne y tend providentiellement par l’ensemble de sa marche
; qu’enfin ils doivent s’y
rencontrer comme en un port de jonction et trouver là leur synthèse.
On
peut dire que partout où se trouve un fragment quelconque de la doctrine
ésotérique, elle existe virtuellement en son entier. Car
chacune de ses parties présuppose ou
engendre les autres. Les grands sages, les vrais prophètes l’ont tous possédée, et ceux de l’avenir la posséderont comme veut du passé.
La lumière peut être plus ou moins intense ; mais c’est toujours la même lumière
forme, les détails, les applications peuvent
varier à l’infini
; le fond, c’est-à-dire les principes, et la fin,
jamais. — On n’en trouvera pas moins dans
ces livres une sorte
de développement graduel, de révélation successive de la doctrine en ses diverses
parties, et cela à travers, les grands initiés, dont chacun représente une des grandes religions qui ont contribué
à la constitution de l’humanité actuelle, et dont la suite marque
la ligne d’évolution décrite par elle,
dans le présent cycle, depuis l’Égypte ancienne et les premiers temps aryens.
On la verra donc sortir non d’une exposition abstraite et scolastique, mais de l’âme en
fusion de ces grands inspirés, et de l’action vivante de l’histoire.
Dans
cette série, Rama ne fait voir que les abords du temple. Krishna et Hermès en
donnent la clef. Moïse, Orphée et Pythagore en montrent l’intérieur.
Jésus-Christ en représente le sanctuaire.
Ce
livre, est sorti tout, entier d’une soif ardente de la vérité, supérieure, totale, éternelle, sans laquelle les vérités partielles ne sont qu’un leurre. Ceux-là
me comprendront, qui ont comme moi la conscience que le moment présent de
l’histoire, avec ses richesses
matérielles, n’est qu’un triste désert au point de vue de l’âme, et de ses immortelles aspirations. L’heure
est des plus graves et les conséquences extrêmes de l’agnosticisme commencent, à se faire sentir par la désorganisation sociale. Il s’agit pour notre France comme pour l’Europe
d’être ou de n’être pas. Il s’agit d’asseoir
sur leurs bases indestructibles les
vérités centrales, organiques ou de verser
définitivement dans l’abîme
du matérialisme et de l’anarchie.
La Science et la Religion, ces gardiennes de la civilisation, ont perdu l’une et l’autre
leur don suprême, leur magie, celle de la grande et forte éducation. Les
temples de l’Inde et de l’Égypte ont produit les plus grands sages de la terre. Les temples grecs ont moulé des héros et des poètes. Les apôtres
du Christ ont été des martyrs
sublimes et en ont enfanté par milliers. L’Église du moyen âge, malgré sa théologie primaire, a fait des saints
et des chevaliers, parce qu’elle
croyait et que, par secousses, l’esprit
du Christ tressaillait en elle. Aujourd’hui, ni
l’Église emprisonnée dans son
dogme, ni la Science enfermée dans la matière ne
savent plus faire
des hommes complets. L’art de créer et de former les âmes s’est perdu
et ne sera retrouvé que lorsque la Science et la Religion,
refondues en une force vivante,
s’y appliqueront ensemble et d’un commun accord pour le bien et le salut de l’humanité.
Pour cela, la Science n’aurait pas à changer de méthode, mais à étendre son
domaine, ni le christianisme de tradition, mais à en
comprendre les origines, l’esprit et la portée.
Ce temps
de régénération intellectuelle et de transformation sociale viendra, nous en sommes
sûrs. Déjà des présages
certains l’annoncent. Quand la Science saura,
la Religion pourra,
et l’Homme agira avec une énergie
nouvelle. L’Art de la vie et tous les arts ne peuvent
renaître que par leur entente.
Mais
en attendant, que faire en cette fin de siècle, qui ressemble à la descente
dans un gouffre, par un crépuscule menaçant, alors que son début avait paru la
montée vers les libres sommets sous une brillante aurore ? — La foi, a dit
un grand docteur, est le courage de l’esprit qui s’élance en avant, sûr de
trouver la vérité. Cette foi-là n’est pas l’ennemie
de la raison, mais son flambeau ; c’est
celle de Christophe Colomb et de Galilée,
qui veut la preuve et la contre-épreuve, provando e riprovando, et
c’est la seule possible aujourd’hui.
Pour
ceux qui l’ont irrévocablement perdue, et ils
sont nombreux — car l’exemple est
venu de haut, la route
est facile et toute tracée :
— suivre le courant du jour, subir son siècle au lieu de lutter contre lui, se
résigner au doute ou à la négation, se consoler de toutes les misères humaines et
des prochains cataclysmes par un sourire de dédain, et recouvrir le profond néant des choses — auquel seul on croit — d’un voile brillant qu’on
décore du beau nom d’idéal — tout en pensant que ce n’est qu’une chimère
utile.
Quant
à nous, pauvres enfants perdus, qui croyons que l’Idéal est la seule Réalité et
la seule Vérité au milieu d’un monde changeant et fugitif,
qui croyons à la sanction et à l’accomplissement de ses promesses, dans l’histoire
de l’humanité comme dans la vie future, qui savons que cette sanction
est nécessaire, qu’elle est la récompense de la fraternité humaine, comme la raison de l’univers et la logique
de Dieu ; —
pour nous, qui avons cette conviction, il n’y a qu’un seul parti à prendre :
Affirmons cette Vérité sans crainte et aussi haut que possible ;
jetons-nous pour elle et avec elle dans l’arène de l’action, et par-dessus cette mêlée confuse, essayons de pénétrer par la
méditation et l’initiation individuelle dans le Temple des Idées immuables,
pour nous armer là des Principes infrangibles.
C’est
ce que j’ai tenté de faire dans ce livre, espérant que d’autres me suivront et
le feront mieux que moi.
Notes
- Voir les beaux travaux de François Lenormant et de M. Maspéro.
- Expérience de Bell. — On fait tomber un rayon de lumière sur une plaque de sélénium, qui le renvoie à distance sur une autre plaque du même métal. Celle-ci communique avec une pile galvanique à laquelle s’adapte un téléphone. Les paroles prononcées derrière la première plaque s’entendent distinctement dans le téléphone qui fait suite à la seconde plaque. Le rayon de lumière a donc servi de fil téléphonique. Les ondes sonores se sont transformées en ondes lumineuses, celles-ci en ondes galvaniques et celles-ci sont redevenues ondes sonores.
- Voir le beau livre de M. Ochorowitz sur la suggestion mentale.
- The perfect way of finding Christ, par Anna Kingsford et Maillaud. Londres, 1882.
(Ceci est l’introduction de son livre Les Grands Initiés, 1889)
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